top of page

L’Inde est-elle devenue une "grande puissance"?


Source : Sangam, Allahabad (État d’Uttar Pradesh, nord-est de l’Inde). 4 septembre. Immersion d’une idole du dieu Ganesh par des hindous durant le Festival de Ganesh, célébré par les hindous du monde entier. PHOTO SANJAY KANOJIA / AFP

 

Dès son indépendance en 1947, l’Inde a voulu devenir une grande puissance mondiale. Alors dirigée par Nehru, héritier de Gandhi, le pays se lance dans un processus de démocratisation à la fois exemplaire et controversé.

Sur le plan économique, l’Inde, pays le plus peuplé au monde après la Chine, a connu deux révolutions majeures. C’est la fille de Nehru, Indira Gandhi alors devenue Premier ministre en 1966 qui lance la révolution verte, fondée sur la sélection de variétés agricoles à hauts rendements, l’utilisation de pesticides et l’irrigation. La sécurité alimentaire était la priorité de l’Inde naissante. L'Inde étant la deuxième surface cultivée au monde, est devenue le premier producteur mondial d’épices et de lait, le deuxième pour le riz et les légumineuses et le troisième pour le blé permettant ainsi d’endiguer les famines (Le dessous des cartes, Arte, 2010).

Ces politiques d’autosuffisance alimentaire avaient pour objectif de mettre un terme à la famine. Cependant, aujourd'hui, la malnutrition persiste avec 14.5% de la population sous-alimentée (« State of Food Security and Nutrition in the World, 2017” report, UN). Le GHI (Global Hunger index basé sur la prévalence des personnes sous-alimentées, le nombre d’enfants en retard de croissance et la mortalité infantile) révèle également une situation sérieusement alarmante concernant le niveau de la faim dans le pays et place l’Inde en 97e position sur 118 pays.

Les conséquences sanitaires et environnementales sont désastreuses. Nous apprenons souvent, que ce soit en France ou en Inde, les « bienfaits » de la révolution verte. L'intensité de la production agricole et la monoculture des champs se sont faits au détriment d’autres variétés notamment des aliments de base comme les légumes secs et les huiles alimentaires pourtant traditionnellement beaucoup utilisés. L’Inde a donc du blé et du riz mais doit importer d’autres aliments de base.

Cette révolution agricole a également eu un coût sur les revenus des agriculteurs alors obligés de s’endetter pour couvrir leurs dépenses en engrais et en eau car cette agriculture intensive est basée sur l’utilisation de pesticides hautement toxiques appauvrissant les sols. Les paysans doivent alors sans cesse racheter des solutions chimiques pour continuer la culture de leurs sols. Egalement, le système d’irrigation nécessite d’énormes quantités d’eau puisant dans les nappes phréatiques elles-mêmes polluées par les produits chimiques déversés sur les champs. Les systèmes d’irrigation utilisent près de 50 % des ressources des nappes phréatiques, voire 80% dans certaines régions (étude de Food and Agriculture organization of the United Nations).


La deuxième révolution du pays est le passage d’une économie dirigée à une économie de marché. L’industrie indienne était très contrôlée et soumise à de nombreuses barrières douanières. Depuis le début des années 1990 sous l’impulsion du Premier ministre Narasimha Rao et de son ministre des Finances Manmohan Singh, le gouvernement a voulu libéraliser l’économie. Mais au moment de la guerre du Golfe (1990-1991) la baisse des transferts d’argent provenant des émigrés et de la crise des paiements contraignent l’Inde à faire appel au Fond monétaire international pour l’ouverture du pays aux investissements privés. L’économie indienne s’ouvre alors au monde extérieur et à ses capitaux. En 2004 on voit apparaitre les zones économiques spéciales afin d’attirer les investissements et entreprises étrangers. Cela a favorisé le développement économique mais surtout l’émergence de pôles mondiaux des hautes technologies et de l’informatique (Bangalore et Hyderabad). L’Inde, ancienne colonie britannique profite de cet atout que constitue la pratique de l’anglais pour attirer des entreprises britanniques et américaines.

Son décollage économique s’est fait aussi par une politique élitiste et volontariste dans le domaine universitaire, due à la culture des castes.

En bref, une main d’oeuvre abondante, de bon marché et bien formée ainsi qu’un secteur de recherche et développement moins cher que dans les pays occidentaux a conduit à la création de niches dans des secteurs à forte valeur ajoutée : le nucléaire civil, la biotechnologie, la production de médicaments génériques et le secteur informatique. Aujourd’hui le secteur tertiaire représente 52% du PIB.

Le savoir-faire indien dans le domaine informatique, pousse le gouvernement à développer le marché des start-up innovantes. Sundar Pichai, nouveau PDG de Google est un exemple pour toute la jeunesse indienne de l’industrie i-tech. Le gouvernement veut que l’Inde devienne la Silicone Valley de l’Orient.




Ce désir de puissance caractérisé par cet essor économique cache néanmoins d'autres enjeux.

La croissance d’une classe moyenne qui voit son niveau de vie progresser rapidement ne correspond pas à la réalité d’un grand nombre d’indiens. L’accroissement démographique phénoménale de l’Inde, 1,60% par an (PopulationData) se heurte à la surpopulation urbaine (une quarantaine d’agglomération dépassent le million d’habitants) et à la pauvreté de masse (en 2012 selon les données de la Banque Mondiale, un indien sur cinq est pauvre). C’est un des pays les plus denses du monde mais dans lequel les inégalités sociales sont les plus criantes. A coté de la maison la plus chère du monde se trouve des bidonvilles où se rassemblent des millions de personnes. L’Inde détient le record mondial pour le nombre de personnes vivant dans des bidonvilles. Cela à cause d’une pénurie de logements et de la surpopulation des villes. Les transports en commun et les routes sont inondés de milliers de personnes et de véhicules. Chaque jour une dizaine de personnes meurent sur les rails.

En découle également un problème de pollution. L’Inde augmente sans cesse ses émissions de gaz à effet de serre mais essaye néanmoins de les freiner. Sa volonté est de participer à la lutte contre le réchauffement climatique à condition que cela ne pénalise pas son développement économique. Sur le plan environnemental son engagement est bien réel mais faible par rapport à son développement économique.



Quant aux femmes elles sont marquées par le harcèlement sexuel et l’insécurité. Notamment dans les transports en commun. Elles ont, par exemple, leur propre wagon pour éviter tout tentative masculine d’attouchements sexuels. Malgré les lois, elles sont encore victimes d’inégalités et de violences (viols et meurtres dits « d’honneur »). La condition des femmes ne parvient pas à progresser car les mentalités de la société n’évoluent pas. Par exemple, une jeune fille sur quatre arrête d’aller à l’école à cause de ses règles, considérées comme tabou. La société n’en parle pas et perpétue la culture de la dissimulation. La honte, la stigmatisation, l’insécurité et le manque d’infrastructures sont un fléau pour l’éducation des jeunes filles. Une étude de l’OCDE sur les inégalités de genre et la croissance économique montre qu’une meilleure utilisation du potentiel des femmes sur le marché du travail résulterait en une hausse de l’efficacité et de la croissance économique. Hors en Inde, seule 27% des femmes en âge de travailler (+ de 15 ans) sont sur le marché du travail (Gender inequality index, UN, 2013).

La société indienne doit également faire face à d’autres tabous, comme l’homosexualité considéré comme un crime. La loi pénalise les homosexuels soumis à des peines de prison et des amendes. Les mentalités rétrogrades entretiennent une société homophobe. Des situations très graves sont courantes. Par exemple, il est arrivé que des policiers arrêtent des homosexuels au hasard en abusant d’eux sexuellement. D’autres problèmes majeurs et plus anciens demeurent une réalité notamment la corruption et l’illettrisme.




L’Inde est devenue en un temps éclair l’une des plus grandes puissances économiques mondiales. Néanmoins, elle ne parvient pas à sortir de ce chaos social asservi aux inégalités et à la pauvreté. L’ « effet Modi » a lancé des réformes devant aller dans le sens du progrès social, par exemple avec la volonté de construire 9 millions de toilettes en un an (données 2015, Le Monde). Mais encore faut-il qu’elles soient utilisées, entretenues, et raccordées à un réseau d’assainissement. Le premier ministre s’est également félicité de l’ouverture de 190 millions de comptes bancaires depuis août 2014. Mais bien souvent ces comptes sont inutiles surtout pour les villages qui vivent éloignés des agences bancaires et ne savent si lire ni écrire.





Article écrit à partir de :


L'émission France culture du 27 septembre 2017 Inde. 70 ans ans après son indépendance : l'Inde est-elle devenue une "grande puissance" ? dans Les Enjeux internationaux.


Le magazine de culture générale L’éléphant n°19, Inde les 10 dates importantes.


L'article IRRIGATION IN INDIA by P.V. Dehadrai DIII/3403, Vasant Kunj, New Delhi-110070, India.


Le Monde hors-série, édition 2016, Bilan du monde.





RECENT POST
bottom of page