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Crime organisé, cartels et économie mexicaine.

Le Mexique, connait depuis 2012 une hausse des homicides volontaires et des actes d’extrême violence. Ce phénomène a-t-il une influence sur l’économie mexicaine et comment ? Plus largement, quels liens ces activités criminelles entretiennent-elles avec l’économie du pays ?


  • Un aperçu de la situation du crime organisé au Mexique

En 2016, le nombre d’homicides a dépassé les 24 559 au cours de l’année, selon l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime.

Ainsi, depuis quelques années, les actes de violence perpétrés par le crime organisé ont beaucoup augmenté. En 2013 par exemple, selon les chiffres officiels, lors du premier trimestre, les cas d’enlèvement ont augmenté de 400% dans l’Etat mexicain du Michoacán, et dans ce même Etat les cas de racket ont augmenté de 85% et les homicides volontaires de 36% par rapport au premier trimestre de 2007. D’autres Etats mexicains sont aussi victimes de la hausse de ces violences : Jalisco, Durango, et Coahuila.

Ces actes sont en recrudescence depuis 2006, début du mandat du président Felipe Calderon (au pouvoir entre 2006 et 2012). Ce dernier, quelques jours après son élection, déclare la guerre aux narco-trafiquants en déployant 6500 soldats dans l’Etat du Michoacán. Depuis cette date, les actes de violence des cartels n’ont cessé d’augmenter et la situation ne s’améliore pas lors du mandat de son successeur Enrique Pena Nieto (de 2012 à 2018).


Par qui sont composés ces cartels et où se situent-ils ?

Il existe environ sept grands cartels au Mexique. Los Zetas, fondé par des anciens militaires d’élite ayant servi au cartel du Golfe, le cartel de Sinaloa qui est l’organisation la plus puissante du pays, le cartel du Golfe allié au Cartel de Sinalaoa touché par de fortes dissensions en son sein, l’Organisation de Beltran-Leyva originaire du cartel de Sinaloa, le cartel de Jalisco nouvelle génération (région Velcruz et Guadalajara) qui est en guerre déclarée contre los Zetas, le cartel de Juarez et enfin le cartel de Tijuana.






Les principaux cartels mexicains et leurs zones d'influence. Le Monde.fr




Aujourd’hui, 71 % du territoire mexicain est sous le contrôle des cartels, qui établissent des « gouvernements parallèles ». Si les cartels contrôlent une grande partie des territoires mexicains, et qu’ils contrôlent une activité extrêmement lucrative, leurs activités ont-elles une influence sur l’économie mexicaine et de quelle ampleur ?

  • Liens entre économie mexicaine et activités des cartels.

Tout d’abord, il faut comprendre dans quel cadre économique les cartels évoluent. Voici quelques chiffres clefs pour comprendre la situation de l’économie mexicaine aujourd’hui. Le Mexique est la 11ème économie mondiale et 2ème plus grande économie d’Amérique latine. D’après les données du Fonds Monétaire International (World Economic outlook database 2018), le PIB du Mexique augmente faiblement depuis 2016. Le taux de croissance du PIB en dollars croit de 2,2 % (valeur estimée) en 2019. Du côté du secteur primaire, le Mexique est un grand exportateur de maïs, de sucre et de café. C’est aussi le 1 er producteur mondial d’argent. Du côté du secteur industriel, les activités gravitent autour de l’aérospatial et de l’automobile. L’économie mexicaine a donc de bons atouts mais connait un ralentissement des dernières années.

Si l’on considère maintenant le poids de la drogue et du narcotrafic avec un revenu annuel qui oscille entre 15 et 30 milliards de dollars, ce secteur représente environ 3% du PIB du pays (donnée du Département d’Etat américain).

C’est un schéma que l’on retrouve dans d’autres pays d’Amérique Latine comme la Colombie.

De plus, l’importante corruption présente dans les institutions mexicaines entraîne de fortes inégalités dans le pays. En effet, ces sommes d’argent colossales ne sont détenues que par un petit nombre de personnes. Michel Gandilhon, chercheur à l’Observatoire français des drogues et toxicomanie (OFDT) explique qu’au Mexique, « on estime que quelques dizaines de milliers de personnes en vivent, auxquelles on doit y ajouter les politiciens et fonctionnaires corrompus. ».


Comment le marché de la drogue peut-il brasser de telles sommes ?

Le secret se trouve dans les marges. En effet, d’après les Nations Unis, 84 des 85 milliards de dollars découlant de la vente de cocaïne en 2009 dans le monde ont été pour les trafiquants et le milliard restant pour les producteurs de feuilles de coca. Le marché de la drogue, rémunère majoritairement les trafiquants et très peu les paysans. L’impact économique est donc moindre pour les paysans compte tenu des revenus de ce trafic illégal. Les trafiquants s’enrichissent et la part laissée aux producteurs est négligeable.

Au-delà d’une répartition inégale des richesses, on peut se demander comment le crime organisé, les cartels et leurs activités influencent l’économie mexicaine dans sa globalité. D’après Arturo Huerta, professeur de la faculté d’économie de UNAM (Universidad nacional autonómica de México), ces activités ont eu une influence plutôt négative sur la décision d’investir. Elles ont participé à la contraction du marché intérieur et à l’augmentation des taux d’intérêt. L’investissement étranger (venant des Etats-Unis et du Canada) a diminué de manière représentative durant l’année 2019, année ayant connu un nombre records d’homicides volontaires dans le pays. Ce sont surtout les actes de violences liés aux activités des cartels qui découragent les investisseurs dans le commerce, dans l’agriculture, l’industrie mais aussi les touristes. Ainsi lorsque nous analysons les effets du crime organisé et des cartels de drogue sur l’économie mexicaine il faut prendre en compte les richesses qui découlent de la vente de drogues et des armes mais aussi les conséquences en termes d’insécurité. En effet, le crime organisé a favorisé la décélération de l’économie mexicaine par exemple en diminuant fortement les loisirs des familles, qui ne consomment que très peu de services (sorties, restaurant, activités familiales) car elles ne se sentent pas en sécurité dans les rues après la tombée de la nuit. Cela crée donc selon Arturo Huerta, un cercle économique vicieux.


Cette situation peut nourrir l’activité des cartels et du crime organisé mexicain. La situation économique récessive peut expliquer l’augmentation des activités des cartels et de l’économie criminelle. En effet, lors des périodes de fort chômage, les personnes qui perdent leur emploi se tournent vers l’économie informelle afin de continuer à gagner leur vie. Or le crime organisé fait partie de l’économie informelle et celui-ci, en temps de récession et de chômage, absorbe une partie de ces travailleurs sans horizon d’emploi.

Arturo Huerta, note que le Mexique a le salaire minimum le plus faible de toute l’Amérique Latine et des Caraïbes. Cela peut signifier qu’avec un salaire minimum très faible, certains mexicains décident de se tourner vers le secteur informel et donc dans certains cas vers la criminalité pour obtenir une meilleure situation financière.

D’un point de vue sociologique, l’origine de la criminalité vient surtout des privations que subissent les ménages, notamment une perte soudaine ou systématique de conditions matérielles et subjectives de bien-être ou un choc négatif de revenu (Stones, 2006). Ce comportement déviant peut aussi être dû à l’absence d’opportunités sociales et économiques (Robert K. Merton, 1968). Le fait de vivre dans une situation de pauvreté ou d’être victime d’inégalités socio-économiques, pousserait les individus à passer par ces chemins détournés afin d’atteindre une situation économique plus stable sans passer par des moyens légaux, plus inaccessibles.


On observe donc un lien entre le développement économique d’un pays et sa criminalité (Emile Durkheim). Selon lui, les profondes modifications de la structure économique, comme le processus d’industrialisation, s’accompagnent d’une rupture de l’axe de régulation sociale et de celui d’intégration sociale, ce qui a un impact direct sur le taux de criminalité l’amenant à augmenter. Pour revenir à l’économie mexicaine, rappelons que les personnes à la tête des cartels de drogue et du crime organisé sont motivés par le pouvoir ; pouvoir qui leur vient directement de l’argent découlant de leurs activités.


Ainsi, comme le dit Don Winslow dans un article qu’il publie en août 2016 dans Esquire, « Guzmán and his boys are businessmen”. Ici l’auteur parle de l’homme surnommé El Chapo mais qu’il refuse d’appeler ainsi, et de ses hommes, qui sont avant tout des hommes d’affaires, davantage que des trafiquants de drogue.


Une nouvelle mine d’or « vert » exploitée par les cartels mexicains ?


Au Mexique, quatre cartels se disputent le contrôle des entreprises qui cultivent l’avocat dans l’Etat du Michoacán, un état qui produit plus de 80% des avocats mexicains. L’avocat, appelé « or vert », est exporté pour une valeur annuelle de 2,4 milliards de dollars. Ainsi, les cartels de drogue promettent aux agriculteurs de les protéger, contre d’autres cartels, s’ils leurs accordent une partie de leurs bénéfices. Les cartels appliquent une taxe à ces agriculteurs par hectare cultivé et par kilogramme exporté. Les personnes qui ne peuvent pas payer cette taxe se font enlever et tuer. Encore une fois, ce mécanisme n’est pas bénéfique à l’économie mexicaine, car ce sont les trafiquants qui captent une partie de la rente liée à l’exportation des avocats. Avec cette méthode, les cartels essaient de contrôler les économies locales où les lois du marché sont inefficaces.


Pour conclure, on constate que les cartels et le crime organisé sont nourris par certaines situations économiques conjoncturelles mais que leur présence peut aussi s’expliquer par de grands changements structurels au sein de l’économie mexicaine. On constate aussi que ces activités de cartels génèrent beaucoup d’argent et influencent certains secteurs comme le tourisme ou contribuent à diminuer l’investissement étranger.




Sources :

ONUDC https://dataunodc.un.org/crime/intentional-homicide-victims

ABC Latina : https://www.abc-latina.com/mexique/economie.htm

RFI amériques :http://www.rfi.fr/ameriques/20120412-le-florissant-marche-drogue-amerique-latine/

CNN espagnol :https://cnnespanol.cnn.com/video/mexico-como-crimen-organizado-y-narcotrafico-afecta-economia-arturo-huerta-intv-rodriguez-dinero/

Scielo :http://www.scielo.org.mx/scielo.php?script=sci_arttext&pid=S0187-57952014000100010

Esquire :https://www.esquire.com/news-politics/a46918/heroin-mexico-el-chapo-cartels-don-winslow/

Express:https://fr.express.live/les-cartels-de-la-drogue-mexicains-prennent-gout-aux-avocats/

Société générale :https://import-export.societegenerale.fr/fr/fiche-pays/mexique/indicateurs-croissance

World Bank:https://www.worldbank.org/en/country/mexico


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