The Dirty Economy
« Le trafic mondial des déchets »
Pour cette fin d’année 2018, la Chine a décidé d’interdire l’importation de déchets trop polluants sur son territoire. Saviez-vous que le traitement des déchets n’est pas seulement l’affaire du pays qui les produits mais représente un business mondial ? Ces dernières années, la Chine est devenue l’un des plus gros importateurs de déchets au monde, lui valant le titre de « poubelle du monde ». Cette décision du gouvernement chinois — pour la cause environnementale — a fait frémir les pays européens et les Etats-Unis qui ont un grand rôle à jouer dans ce business.
Les déchets sont la partie sombre de nos sociétés de consommation. En effet, depuis la deuxième guerre mondiale, on observe une forte augmentation de la production et de la consommation et donc nécessairement des déchets. La quantité de déchets par habitant a augmenté en poids et encore plus en volume. Cette augmentation de déchets ménagers est notamment dû à la croissance démographique, l’urbanisation accélérée, l’augmentation du niveau de vie, la réduction de la durée de vie des produits, et le développement de produits à usage unique (sacs et emballages plastiques,…). Le nombre de déchets augmente avec la population et le mode de vie a évolué vers une société d’abondance. L’industrie de l’emballage a un poids important. Par ailleurs, près de 70 % de la population de la planète vivra en zone urbaine en 2050, amplifiant en partie le problème de la gestion des déchets (rapport de l’OCDE, 2012). Le problème est que ce phénomène touche principalement les pays du Sud. A partir du moment où la gestion des déchets doit être prise en compte à l’échelle mondiale, tous les pays doivent prendre conscience de leur impact sur les autres, en particulier les pays développés sur les pays émergents et en développement. Le traitement des déchets implique aujourd’hui nécessairement des échanges internationaux, des relations entre les pays et les villes et surtout des inégalités face à la pollution.
En Europe, la majorité des déchets sont incinérés ou enterrés dans les décharges. Plus généralement, dans les pays développés, le traitement des déchets dangereux (nous parlerons ici des déchets toxiques) est de plus en plus coûteux. Pour cette raison, des cargos de déchets se vident dans les océans. Aussi, nombre de pays développés ont recours à une autre solution de facilité : celle d’exporter leurs déchets, principalement leurs déchets électroniques et électriques difficilement recyclables, vers les pays en développement, transférant le problème, et donnant la responsabilité aux pays en développement, moins regardant sur le traitement des déchets. Les Etats-Unis par exemple produisent 10 millions de tonnes de déchets par an et en exportent la majeure partie dans les pays du Sud, en particulier vers les pays asiatiques.
Nous pouvons ici remettre en question la mondialisation qui dans ce cas, à cause de l’intensification des échanges et la création de réseaux entre les villes, contribue à la dé-responsabilisation des plus gros pays pollueurs. Ceci peut être qualifié de trafic mondial de déchets. Bien que illégale, cette pratique est aujourd'hui répandue.
La cas du Proba Koala en Côte d’Ivoire en est un exemple et souligne le coût environnemental, social et économique (impact sur le capital humain). En 2006, le Proba Koala, a déchargé 581 tonnes de ses déchets provenant du nettoyage du navire, dans le port d’Abidjan, tuant 17 personnes et intoxiquant des dizaines de milliers d’autres. Il fut alors difficile d’identifier le responsable, car le Proba Koala était enregistré au Panama, appartenait à une compagnie Grecque et était affrété par une société Hollandaise et Suisse. L’affaire Proba Koala montre l’irresponsabilité des pays développés qui se servent du manque de régulation et de leur pouvoir de négociation pour décharger leurs déchets dans ces pays, dont la dangerosité impacte les habitants.
Les 3/4 de nos e-déchets (vieux ordinateurs,...) transitent via des circuits de recyclage illégaux pour se retrouver dans des décharges sauvages alors que les pays développés ont la capacité technique de les recycler "proprement" mais à des coûts élevés. Tandis que les pays du Nord en sont les plus grands consommateurs, c'est dans les pays du Sud que ces appareils finissent leur fin de vie.
Quelles sont les conséquences pour les pays en développement ?
La concentration de déchets toxiques est désastreuse pour l’environnement et la santé. Le stock de capital humain s’en trouve impacté. Dans les pays en développement, les personnes travaillant dans les centres surtout informels de traitements de ces déchets le font dans des conditions de travail médiocres, sans aucune protection contre les substances toxiques, les fumées cancérigènes et sans systèmes de sécurité.
Le traitement génère une pollution des sols, de l’eau (nappes phréatiques et rivières), et de l’air.
Mais pourquoi ce trafic persiste-t-il ?
Une des raisons citées par Faouzi Bensebaa et Fabienne Boudier (2014) est la responsabilité des entreprises qui opèrent dans ce business très lucratif. Les entreprises des pays développés externalisent le traitement de leurs déchets afin de maximiser leurs profits pour leurs actionnaires. Cette externalisation permet de réduire leurs coûts au détriment d’un comportement responsable et de bonnes pratiques environnementales. Le coût du traitement ou du recyclage des déchets apparaît comme prohibitif face au faible risque de sanctions en cas de non-respect de la loi internationale qui interdit le trafic des déchets toxiques, la réglementation n’étant pas appliquée.
Afin de réguler le traitement des déchets au niveau mondial, la Convention de Bâle de 1992 interdit les mouvements transfrontaliers des déchets toxiques des pays développés vers les pays en développement, et impose que le traitement des déchets incombe aux pays qui les produits. Mais la frontière ici est difficile à déterminer : comment identifier les consommateurs, les producteurs et surtout comment imposer à un niveau international un comportement durable et responsable ? Voici le cœur du problème de la gouvernance internationale et des accords internationaux. La convention de Bâle cherchait à corriger le problème, mais les Etats-Unis n’ont pas ratifié la Convention et certains pays européens font passer leurs déchets sous la couverture de donations aux pays en développement. Aussi, la faiblesse du contrôle des multinationales par les gouvernements est à blâmer. Les Etats ne leur imposent aucune réglementation de peur qu’elles ne quittent le territoire. Par ailleurs, les pays receveurs ne parviennent pas à se protéger correctement, en partie à cause de la faiblesse de leurs institutions.
Mais si la Chine aujourd'hui refuse d’être la poubelle du monde, qui va donc récupérer le fardeau des déchets mondiaux ?
Sources
Bensebaa, Faouzi, et Fabienne Boudier. « Gestion des déchets dangereux et responsabilité sociale des firmes : le commerce illégal de déchets électriques et électroniques ». Développement durable et territoires. Économie, géographie, politique, droit, sociologie, 29 juillet 2014. https://doi.org/10.4000/developpementdurable.4823.
« Comment l’Europe fait passer ses déchets informatiques pour des dons « humanitaires » ». Basta ! Consulté le 14 octobre 2018. https://www.bastamag.net/Comment-l-Europe-fait-passer-ses.
La revue de culture générale L’éléphant Hors Série Environnement, Notre Terre en héritage.