Effets des investissements étrangers sur la croissance économique dans les pays en développement : c
IDE ET CROISSANCE AU NIGÉRIA : une étude empirique d’A. Enisan Akinlo.
Source : « Pollution pétrolière au Nigeria : la justice néerlandaise condamne la filiale de Shell»,30 janvier 2013, sect. Planète. https://www.lemonde.fr/planete/article/2013/01/30/pollution-la-justice-neerlandaise-rejette-la-plainte-de-4-nigerians-contre-shell_1824317_3244.html.
Partant d’un constat, Akinlo montre que beaucoup d’études ont été menées sur l’impact des investissements directs étrangers (IDE) sur la croissance économique. En revanche, ces études sont géographiquement ciblées et ne portent que rarement sur le continent africain. Cela est sans doute dû à la faiblesse relative des flux d’IDE entrants sur ce continent.
Une autre absence flagrante dans la littérature est l’impact, en particulier, des IDE extractifs visant seulement à puiser les énergies et ressources des sols d’un pays pour ensuite les exporter, sur la croissance. En effet, étudier l’Afrique sans regarder cette catégorie d’IDE n’a pas de sens car elle représente la majorité des IDE sur le continent. Dans ce papier, l’auteur s’appuie donc sur le cas Nigérian entre 1970 et 2001.
La question que l’on se pose est alors : quels sont les effets des IDE extractifs sur la croissance?
Il en vient à se concentrer sur la particularité du Nigéria. Les IDE entrants sont en grande majorité tournés vers le secteur pétrolier, un secteur qui contribue largement au PIB mais qui peut être remis en cause quant à son impact sur le développement économique du pays, et ce pour les raisons suivantes.
Il s’agit en effet d’un secteur enclavé qui n’interagit que très peu sur les autres secteurs de l’économie. Autrement dit, la bonne santé du secteur pétrolier ne va pas avoir d’effets notables sur l’éducation, la santé ou encore sur l’agriculture de la banane et de l’arachide. Deuxièmement, ce secteur génère des revenus très concentrés qui transitent par un marché financier nigérian opaque et très volatile. C’est cette dernière caractéristique qui est problématique pour la croissance car elle augmente l’incertitude et rend les agents indécis sur les comportements à adopter quant à l’investissement. Le capital ne sert donc pas à financer des projets de développement mais nourrit les rentes personnelles. Troisièmement, le secteur pétrolier nécessite une très haute technologie et une production intensive en capital, tout ce que le pays n’a pas. Le Nigéria fait donc appel à l’étranger en matière de capital et de technologie. En termes de concurrence, le secteur fonctionne avec des économies d’échelle qui n’encouragent pas l’entrée d’autres firmes et favorisent la rente de quelques individus.
En bref, les besoins en amont du secteur ne peuvent pas être fournis par le pays (technologie, production à haute proportion capitalistique et peu de biens intermédiaires), et en aval le secteur pétrolier vend avant tout à l’étranger. C’est en effet un secteur déconnecté de l’économie nigériane. Nous revenons donc à l’interrogation pertinente de l’auteur, à savoir si les IDE extractifs sont bénéfiques ou non à l’économie nigériane et à quel niveau.
La littérature montre que les effets des IDE sur la croissance se transmettent par deux canaux principaux. Dans un premier temps c’est en accumulant le capital que les IDE augmentent l’efficacité productive des firmes. En finançant les entreprises ce capital renforce la compétition sur le marché et permet de mettre à disposition plus de technologies (spillovers positifs et hausse de la productivité des usines). Les IDE ont aussi un effet d’optimisation sur le capital humain et les exportations en créant un contexte favorable en termes de degré d’ouverture, de qualité du marché financier et de développement technologique. La littérature souligne également le fait que les IDE peuvent avoir un effet négatif sur la croissance si le gouvernement les « rémunère » - c’est-à-dire qu’il donne des « cadeaux » comme des remises sur les profits engrangés (plus que les parts détenues ne le stipulent) - et d’autres concessions en échange de ces IDE. Les IDE doivent ainsi être complémentaires à l’investissement interne du pays qu’il soit public ou privé et non substituables afin d’éviter un phénomène d’éviction.
Son étude empirique* montre que le facteur travail(1) et le capital humain(2) jouent un rôle positif sur la croissance économique. Par exemple, il en déduit qu’un dollar investi dans le capital humain (école, formation continue, ou toute activité pouvant augmenter les compétences et savoirs des individus) rapporte 0,07 dollar de PIB. Les IDE extractifs, en revanche ont, sans grande surprise un impact négatif sur la croissance (un an après l’investissement effectué). Cependant cet impact sur la croissance économique devient positif mais seulement au terme de trois ans d’investissement. Les investissements extractifs provoquent un supplément de PIB donc génère de la croissance économique(3). En ce qui concerne les épargnes privées appartenant aux Nigérians, ces dernières ont un effet positif sur la croissance même s’il reste négligeable. Selon la même logique, un dollar de capital privé – qui est en fait une épargne mobilisée pour faire fonctionner l’économie – engendrera un supplément de PIB mais dans ce cas un supplément faible. On pourrait l’expliquer par les quantités trop faibles de cet investissement car l’investissement public est majoritaire depuis la découverte du pétrole et de la hausse de son prix dans les années 1970. Les dépenses de l’État faites sur une année feraient reculer le PIB de l’année suivante mais l’auteur ne donne pas de conclusion sur cet effet en raison de marges d’erreurs élevées(4). Cela sous-entend une éviction de la consommation privée interne. Le développement financier(5) engendre une baisse(6) du PIB car il encourage la volatilité du capital par la facilité exacerbée des transferts à l’étranger. Dans ce contexte, la libéralisation du marché financier n’était pas si bénéfique pour la croissance.
E. Akinlo en conclue que les IDE extractifs sont moins favorables à la croissance économique que les IDE productifs. En revanche si l’on se concentre sur les autres facteurs explicatifs de la croissance on remarque que les exportations, le capital humain et le facteur travail jouent un rôle positif.
Quelles sont les implications de cette étude ?
Dans un premier temps, le gouvernement doit créer un environnement favorable afin d’attirer les IDE productifs, par exemple, en ouvrant des secteurs de l’économie qui étaient traditionnellement du ressort de l’Etat, ou du moins établir une protection nationale. L’État pourrait également faciliter le rapatriement des profits, c’est-à-dire que ce qui est gagné par les investisseurs puisse facilement retourner dans leurs pays respectifs et non rester bloqué au Nigéria. Ce facteur rassurant pour les investisseurs permet d’avoir plus d’investissements productifs.
Le gouvernement nigérian doit aussi créer davantage d’externalités positives à travers les activités qu’il encourage et rendre les IDE complémentaires au financement de l’État, et non substituables comme ils le sont aujourd’hui. L’intégration du secteur pétrolier dans l’économie nigériane est alors un objectif primordial en privatisant ce secteur et en créant plus d’emplois issus la main d’œuvre nigériane. Il faut aussi que l’État se désengage de l’économie pour laisser la place au secteur privé car nous avons vu précédemment l’effet négatif des dépenses de l’État sur la croissance, c’est notamment un des signes de l’effet d’éviction. Cette situation est caractérisée par un investissement de l’État qui aurait pu être financé par le secteur privé. Ainsi, pour un même projet financé, il en résulte un endettement public ou une hausse des impôts contrairement à un financement privé. Beaucoup trop d’entreprises étatiques sont présentes, mais ces privatisations doivent être encadrées administrativement et légalement afin d’éviter la catastrophe des privatisations sauvages comme celles de 1988. Toutes ces opérations doivent rester les plus transparentes possibles.
Un travail doit aussi être fait sur les exportations en encourageant le secteur privé à investir dans la production des biens exportés ou exportables. L’auteur propose d’attirer les détenteurs de la dette publique, qui en échange de ré-échelonnage auraient un accès facilité à des secteurs autrefois réservés à l’État. Ces IDE amèneraient de la technologie et amélioreraient les infrastructures du pays. La recherche d’un capital stable est importante pour la croissance et le développement du pays. C’est éventuellement à la diaspora nigériane de rapatrier ses capitaux au pays. De plus, le développement des politiques économiques doit être favorable afin de garder les profits engrangés pour qu’ils restent sur le territoire nigérian et servent à développer l’économie nationale. En matière d’éducation, les programmes éducatifs sont à poursuivre car cela influe positivement sur la croissance.
Pour conclure, l’État a un rôle primordial à jouer pour favoriser la croissance et améliorer son développement économique sans pour autant devenir acteur économique direct sur le marché. Il doit mettre en place les conditions optimales pour une plus grande intégration du secteur pétrolier dans l’économie, une plus grande ouverture internationale et surtout encourager la participation privée au marché (autant dans l’investissement que dans la consommation). Malheureusement l’auteur ne nous indique pas quels seraient les secteurs industriels optimaux pour recevoir des IDE. L’étude se contente d’une recommandation générale sur des IDE industriels.
* D’un point de vue plus technique, l’auteur utilise une fonction de production dans laquelle l’IDE est un facteur de production parmi d’autres. Il utilise comme variables explicatives (les facteurs expliquant la croissance) le capital privé intérieur, les IDE extractifs (chacun pondéré par un poids correspondant à leur part dans le capital au total), le capital humain, lui aussi considéré comme un facteur de production et mesuré par un proxy : la part des individus ayant étudié au lycée, à l’université et dans des centres d’apprentissage ; la profondeur du marché financier qui devrait jouer un rôle sur le degré de volatilité du capital ; et pour finir les dépenses de l’État.
Une variable muette a été instaurée afin de séparer deux périodes : 1970-1986 et 1986 à 2001. Cette césure en 1986 peut s’interpréter de deux façons. Premièrement, c’est l’année du contre-choc pétrolier (prix en chute libre à $10 le baril). Deuxièmement, c’est aussi l’année où le Nigéria a dû instaurer une politique d’ajustement structurel (PAS, plus couramment appelée politique de rigueur) voulue par le Fond Monétaire International et la Banque Mondiale.
Quelques mots de vocabulaire pour les "non" économistes
L’effet d’éviction est une situation économique dans laquelle l’État finance ce qui aurait pu être financé par le secteur privé. Elle se traduit par une baisse de l’investissement et de la consommation privée, provoquée par la hausse des dépenses publiques. C’est en effet pour les économistes libéraux la conséquence négative des activités du secteur public au détriment du secteur privée. Dans le cadre de cet article, on aurait pour un même résultat, une dette publique qui augmente ou des impôts qui s’accroissent. On détecte cet effet lorsque l’investissement de l’État est fort et que son impact sur le PIB, et donc sur la croissance est négatif.
Le capital humain est l’ensemble des facultés, talents, savoir-faire qui permettent aux travailleurs d’être plus productifs. On améliore ce capital via l’école, les formations, etc.
Les facteurs capitalistiques sont l’ensemble des technologies, des machines, des installations et même des bâtiments utilisés pour une activité de production. L’économie schématise souvent l’activité de production par des modèles où se mêlent travail (donc le personnel) et capital décrit ci-dessus.
IDE extractifs / IDE productifs, les IDE sont des investissements directs à l’étranger, c’est-à-dire qu’une entreprise investit des fonds pour le développement d’une activité en dehors des frontières du pays où elle est installée. On différencie les IDE des investissements de portefeuille (financiers et non économiques) par leurs montants et la longueur de leur « séjour » à l’étranger. Il faut donc que les montants investis restent au moins un an dans l’entreprise choisie et qu’ils représentent au minimum 10% du capital de l’entreprise choisie. La différence dans ce papier est faite entre IDE extractif et IDE productif que l’on peut établir en fonction de l’activité choisie pour l’investissement. On qualifiera de productif un investissement qui vise à développer la capacité de transformation des matières premières en biens manufacturésd’un pays. Cet investissement génère plus de valeur ajoutée, donc de richesses, alors que l’investissement qualifié d’extractif vise seulement à puiser les énergies et ressources des sols d’un pays pour ensuite les exporter.
Notes économétriques
(1) Significativement positif avec un coefficient d’en moyenne 0.14.
(2) Significativement positif à hauteur de 0,07.
(3) L’auteur nous montre qu’il ne peut conclure sur l’effet des investissements extractifs car le coefficient est non significatif. En économétrie, les mesures des impacts sont soumis à des marges d’erreurs, ici il ne peut affirmer que cet impact soit différent de zéro (donc sans effet) sans une chance de 10% de se tromper.
(4) Les dépenses retardées de l’Etat ont un impact négatif non significatif.
(5) Le fait que le marché financier puisse offrir plus de services à un plus large public.
(6) Le coefficient est égal à -0,03. Un dollar de plus transitant par le marché financier nigérian engendre une baisse du PIB de 0,03 dollar.
Référence de l'article
Akinlo, A. « Foreign Direct Investment and Growth in NigeriaAn Empirical Investigation ». Journal of Policy Modeling, mai 2004. https://doi.org/10.1016/S0161-8938(04)00057-2.