Repérer le bullshit à l'ère du digital
"Calling bullshit in the age of Big Data" - Carl T. Bergstrom, Jevin West
Vous êtes-vous déjà perdus sur Youtube? Moi oui, très souvent. La plupart du temps il est déjà 1h du matin et on se demande comment on a pu tomber sur cette vidéo montrant un adolescent mettant le feu à sa chambre.
Dans 0.1% des cas, cela peut s’avérer très productif.
C’est en me perdant sur YouTube que je suis tombé sur cette série de vidéo : “Calling bullshit in the age of Big Data”. Ces vidéos sont celles d’un cours qui porte le même nom, enseigné à l’Université de Washington par les professeurs Carl T. Bergstrom et Kevin West. Cela peut paraître, a priori, loufoque et déroutant. Cependant, le sujet est et devient de plus en plus sérieux dans notre société.
Le but de ce cours est de sensibiliser les étudiants au bullshit qui est présent dans notre vie de tous les jours, pour savoir le repérer et le réfuter à tout moment.
Dans ce court article, je vous propose un résumé des premières vidéos et leçons de ce cours, comme avant goût de tout la série de vidéos qui vous attend si le sujet vous passionne autant qu’à moi.
Une introduction au bullshit
Tous les jours, nous sommes noyés dans le bullshit.
Les deux professeurs donnent des exemples concrets de cette situation :
Les femmes et hommes politiques ne sont pas contraints par les faits. Laurent Wauquiez l’a même confirmé, durant un cours donné à l’EM Lyon : “je ne vais pas vous dire le bullshit que j’ai l’habitude de dire dans les média”
Les études supérieures ont tendance à récompenser le bullshit et non la réflexion et l’analyse
Les tâches administratives sont souvent un exercice sophistiqué de rassemblement et de combinaison de bullshit
L’Américain (et le Français) moyen passe près d’une heure par jours sur Facebook, principalement à diffuser du bullshit.
Les exemples donnés au dessus peuvent être pris à la légère, mais parfois, le bullshit peut être une question de vie ou de mort.
Le 20 décembre 2016, AWD News, un site relayant et créant des fake news, publie un article en rapportant des paroles (fausses) du ministre de la Défense Israélien. Selon eux, il aurait dit “Si le Pakistan envoie des troupes au sol en Syrie, pour quelque prétexte que se soit, nous détruirons ce pays avec une attaque nucléaire”.
Ces paroles rapportées sont bien évidemment fausses et montées de toute pièce par AWD News. Cependant, les choses ont mal tournées.
Croyant cette information vraie, le ministre de la Défense Pakistanais riposte en disant : “Israel oublie que le Pakistan est aussi un État nucléaire”.
Voilà comment une fake news, du bullshit, peut nous mener à une potentielle guerre nucléaire.
C’est pour cela que les deux professeurs de l’Université de Washington prônent une sensibilisation plus accrue aux populations sur ces questions de fake news et de bullshit.
Qu’est-ce que le bullshit ?
Une définition est donnée par les deux professeurs :
“ Le bullshit implique le langage, les données statistiques, les données graphiques, et toutes les autres formes de présentation qui ont pour but d’impressionner, ou de persuader - présentés avec une négligence flagrante de la réalité, de toute forme de cohérence logique.”
Le fait qu’il y ait une forte négligence pour la réalité ou toute forme de cohérence est la partie la plus essentielle de cette définition.
La philosophie du bullshit
Là encore, on parle de quelque chose qui existe vraiment et qui est bel et bien sérieux. La philosophie du bullshit se développe de plus en plus, et les philosophes de cette matière se font de plus en plus nombreux.
Chez les premiers philosophes du bullshit, on trouve Harry Frankfurt avec son livre On Bullshit. Une des premières phrases du livre pose les bases sur notre société du bullshit : “L’une des caractéristiques les plus surprenantes de notre culture est qu’il y a beaucoup de bullshit. Tout le monde le sait. Chacun de nous y contribue. Mais on a tendance à se reposer sur nos acquis.”
Le constat fait dans ce livre est sans appel : Tout le monde contribue à la propagation de bullshit, mais personne n’essaye d’enrayer cette tendance.
Aussi, l’auteur mentionne une différence entre “menteur” et “bullshitter” qui est pour lui capitale. Un menteur connait la vérité, mais essaye simplement de nous convaincre de quelque chose d’autre. Un bullshitter, lui, ne connait pas la vérité ou s’en fiche, et essaye juste d’être persuasif.
Un autre philosophe du bullshit, G.A. Cohen, essaye de trouver les solutions contre la propagation du bullshit. Pour lui, la principale cible doit être le bullshit et non les bullshitters, ou les producteurs de bullshit. Il ajoute qu’il faut donc se concentrer sur le produit (le bullshit) et non son processus d’élaboration ou l’état mental de la personne qui est derrière lui. On doit donc plus se préoccuper à rétablir la vérité ou la logique plutôt qu’à dénoncer les bullshitters et les diffuseurs de bullshit.
Repérer le bullshit
Les enseignants de ce cours proposent trois grandes question à se poser afin de pouvoir repérer le bullshit :
À qui ai-je affaire? Qui me dit ça ?
Comment le savent-ils ?
Que gagnent-ils à me donner cette information ?
De nombreux exemples de bullshit sont donnés dans les vidéos, notamment un exemple célèbre d’une Keynote de l’entreprise Apple, où des données graphiques sont présentées d’une telle manière qu’elles se transforment en bullshit.
En bref
Le bullshit peut être une question de vie ou de mort
On doit se concentrer sur le bullshit dit et non le bullshitter, celui qui le dit ou le répand
On doit augmenter la sensibilisation sur les fake news et le bullshit auprès du grand public, et enseigner ces éléments dans les écoles.
Pour ceux que ça intéresse, voici le lien de la playlist Youtube : https://www.youtube.com/watch?v=A2OtU5vlR0k&list=PLPnZfvKID1Sje5jWxt-4CSZD7bUI4gSPS