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Quels liens entre développement économique et égalité des sexes ?


L’égalité des sexes et les discriminations à l’encontre des femmes se placent aujourd’hui au cœur de nombreux débats. Esther Duflo et ses collègues, Michael Kremer et Abhijit Banerjee, ont reçu le prix Nobel d’économie, en récompense de leur travail sur le terrain pour lutter contre la pauvreté. S’ils appliquent des méthodes fortement critiquées, ils ont le mérite de mettre sur le devant de la scène l’économie du développement ainsi que la place des femmes en économie. Toujours avec cette approche expérimentale, ils établissent un lien entre le développement économique et les inégalités de genre. Nicholas Kristof et Sheryl Wudunn (2008) dressent un portrait des inégalités et des violences infligées aux femmes. L’ambition du présent article est d’expliquer pourquoi l’égalité des sexes ne relève pas uniquement du domaine de l’éthique mais aussi de celui de l’économie du développement.



Selon l’économiste Amartya Sen, il manquerait 100 millions de femmes dans le monde. Ce déficit illustre parfaitement la condition des femmes à travers nos sociétés : féminicides, infanticides, avortements sélectifs, manque d’accès aux soins, ou encore violences. Chaque année, 39 000 petites filles décèdent parce qu’elles n’ont pas autant accès aux soins que les garçons. Dans les pays en développement, les discriminations sont plus prononcées : les inégalités étant exacerbées dans les situations extrêmes, nous les retrouvons davantage dans les situations de grande précarité. Esther Duflo explique que les inégalités existent bien avant la naissance puisque, dans les pays pauvres, les femmes ont moins de chances de naître et que ce phénomène est accentué par les progrès dans la médecine (avortements sélectifs après les échographies, par exemple).


Une deuxième explication des discriminations est l’idée très répandue selon laquelle les filles sont moins rentables que les garçons (Cox et Fafchamps (2008)). C’est ce qu’illustre aussi le proverbe indien indiquant qu’ « élever une fille, c’est comme arroser le jardin de son voisin ». Il sera considéré plus rentable d’investir dans l’éducation d’un garçon puisque l’accès des femmes au marché du travail est limité dans beaucoup de pays. En effet, dans de nombreuses sociétés, le rôle des femmes est limité au foyer. D’après Gandhi, « Éduquer un homme, c’est éduquer un individu. Éduquer une femme, c’est éduquer une famille ». Cette phrase rappelle les conclusions de nombreuses études montrant l’importance du rôle des femmes dans le développement du capital humain, qui se définit par l’ensemble des aptitudes, talents, qualifications, expériences accumulées par un individu. On désigne par l’expression « effet fille » les effets induits par l’entrée des filles dans l’économie formelle. Parmi eux, une hausse de la main d’œuvre disponible, et une diminution de la pression démographique (due au recul de l’âge du mariage). En outre les femmes financent l’éducation des jeunes et épargnent davantage que les hommes ce qui participe à une hausse du niveau d’épargne national. Réduire les inégalités de genre, notamment dans l’éducation est un processus auto-entretenu : l’instruction provoque une baisse du désir d’enfant, favorise le fait d’accoucher à l’hôpital ou encore celui de faire appel à un médecin. Souvent l’instruction encourage l’instruction des générations suivantes, donc instruire les femmes, c’est développer le capital humain et réduire les inégalités. En opérant des progrès dans l’éducation des femmes, on stimule leurs salaires et on contribue au développement humain (baisse de la mortalité infantile, amélioration globale de la santé et de la scolarité dans la société…) qui favorise lui-même la croissance économique. Puisque le développement humain favorise la croissance économique, cela suggère que la réduction des inégalités de genre dans l’éducation favorise cette dernière. L’article du blog illusio cite également des études montrant une corrélation négative entre les inégalités de genre dans l’éducation et le niveau de vie : on peut donc augmenter le niveau de vie en réduisant les inégalités de genre dans l’éducation.


Nicholas Kristof et Sheryl Wudunn expliquent qu’éduquer et donner du pouvoir aux filles, c’est lutter contre la pauvreté et l’extrémisme. Les auteurs assurent que, si l’on marginalise la moitié de l’humanité, un pays ne peut se développer et être stable car un excès d’hommes sur un territoire se traduit par une hausse de la violence et de la criminalité. Or la stabilité politique favorise la sécurité et la paix des facteurs nécessaires au développement des activités économiques, et permet d’attirer les investissements qui soutiennent la croissance.


Il est important d’insister sur le rôle économique de l’égalité des sexes. Les inégalités de genre nuisent à la croissance pour plusieurs raisons :

D'abord, si l’on investit moins dans le capital humain féminin (éducation, santé…), on réduit la productivité du travail et donc le potentiel de croissance de l’économie (croissance de l’économie lorsque les facteurs, dont le travail, sont utilisés de manière optimale). Ensuite les barrières que l’on place sur l’accès des femmes au marché du travail, en leur interdisant d’exercer dans certains secteurs par exemple, ou à cause de discriminations, nuit à une allocation efficace des ressources : on empêche la moitié des ressources en travail de se mobiliser. Enfin, lorsque l’on empêche les femmes d’accéder librement à un revenu, on les prive de la possibilité d’épargner. Or la propension marginale à épargner des femmes (le supplément d’épargne consécutif à l’augmentation du revenu d’une unité) est supérieure à celle des hommes car elles font preuve d’un altruisme intergénérationnel plus fort. Dans les pays en développement, les capacités d’autofinancement demeurent réduites, c’est pourquoi l’épargne est essentielle à l’investissement.



Source: Nina Filipkowski, Cambodge, 2018




En Asie les femmes sont un pilier du développement du fait de leur rôle dans l’activité industrielle. Elles sont efficaces dans les travaux qui demandent de la finesse et de la précision (cela est lié à une éducation genrée reçue par les filles dès leur plus jeune âge), c’est pourquoi on les retrouve beaucoup dans les usines de textiles ou dans les cultures de thé. D’un côté, ces secteurs offrent des conditions de travail critiquables, des droits limités et sont parfois sources d’accidents. De l’autre, ils constituent une source de revenu supplémentaire, un moyen d’émancipation des femmes qui ont le contrôle sur une partie du revenu familial, ou qui disposent d’autres options que la prostitution par exemple. L’ouvrage de Nicholas Kristof et Sheryl Wudunn décrypte les rouages de ce mécanisme très répandu en Asie où la prostitution des femmes et des jeunes filles constitue un fléau très répandu. Le micro-crédit œuvre dans ce sens. Cet outil, dont l’effet est très discuté (l’accès au crédit ne permet pas toujours aux femmes de démarrer une activité) dans les sphères économiques, montre que les femmes sont aussi fiables que les hommes pour ce qui est du remboursement. De plus, quand les femmes ont le contrôle du budget, elles dirigent moins les dépenses vers les plaisirs immédiats et davantage vers des emplois de long terme (instruction, santé, logement, alimentation…). Le fait que les femmes aient accès à un revenu qui leur est propre modifie également leur pouvoir de décision au sein du ménage. Elles ne dépendent plus du revenu de leur mari et peuvent ainsi avoir plus de poids dans les négociations sur les décisions importantes à prendre dans la famille et dans le couple, par exemple sur l’éducation des enfants ou encore l’alimentation et la santé.



En définitive, promouvoir l’égalité des sexes constitue l’un des meilleurs moyens de lutter contre la pauvreté mondiale. Lawrence Summers écrit, alors qu’il est chef économiste à la Banque Mondiale, qu’« Investir dans l’éducation des filles pourrait bien être le placement le plus rentable du monde en voie de développement ». Il montre ainsi qu’aux raisons éthiques et morales qui nous poussent à promouvoir l’égalité des sexes, s’ajoute celle, plus économique, du recul de la pauvreté.





Références


Cox et Fafchamps (2008). Extended family and kinship networks : economic insights and evolutionary directions. In T.P. Shultz and J.A Strauss, Handbook of Development Economics


Duflo Esther. Égalité des sexes et développement économique, Conférence École normale supérieure - PSL, (https://youtu.be/KCxhnM6LuNg)


Kristof Nicholas et Wudunn Sheryl (2008). La moitié du ciel


Blog illusio (2015). Quels liens entre inégalités de genre et croissance ?, (http://www.blog-illusio.com/article-inegalites-de-genre-et-croissance-economique-125431458.html)

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