Essai sur le Brésil et la déforestation
Brésil, Pantanal, Nina Filipkowski
Pourquoi devrions-nous nous soucier du climat ?
Le Brésil, est le cinquième plus grand pays par sa taille et sa population et, parmi tous les pays du monde, le sixième plus grand émetteur de gaz à effet de serre. Cela lui confère déjà un certain niveau de responsabilité car il est le pays où se trouve plus de 60 % de la forêt amazonienne.
Les questions liées au changement climatique ont fait l'objet d'une attention croissante au cours de ces dernières années. Des espèces sont en voie de disparition, ou meme déjà disparues et la flore est gravement endommagée par les activités humaines. Sachant que le Brésil possède l'une des biodiversité les plus diversifiées et les plus riches du monde, il vaut la peine de s'interroger sur sa contribution au changement climatique. Actuellement sur le devant de la scène à cause des feux gigantesque en Amazonie, il faut rappeler l’importance de ce fabuleux patrimoine naturel, souvent appelée les poumons de la terre qui est une ressource essentielle pour la survie de notre planète. Par sa géographie et son importance économique, le Brésil a un rôle déterminant à jouer dans la réponse au changement climatique. L'avenir du Brésil est ainsi étroitement lié aux questions environnementales.
Cependant, la cause environnementale est souvent confrontée à la performance économique. Le débat est le suivant : favoriser la protection de l’environnement en acceptant une performance économique moindre ou favoriser la croissance économique en dégradant l'environnement et ainsi augmenter le changement climatique? C'est aujourd’hui une question souvent posée aux pays émergents dans ce dilemme entre développement économique et protection de l'environnement. Tout récemment, le Brésil avait été considéré comme un chef de file dans la lutte contre les changements climatiques. Plusieurs politiques et stratégies climatiques adoptées en étaient la preuve. Cependant, la situation a changé après l'élection de Jair Bolsonaro au poste de Président du Brésil fin 2018. Ce changement de situation politique est une raison de plus pour que la question du changement climatique au Brésil soit à nouveau mise sous les feux de la rampe. Par rapport à d'autres parties du monde, la population brésilienne est plutôt peu informée sur sa contribution au réchauffement climatique et sur les impacts possibles auxquels elle sera confrontée à l'avenir si le changement climatique n'est pas atténué surtout pour les populations les plus vulnérables. Il en vient à discuter des principaux moteurs du changement climatique au Brésil, notamment l'industrie agricole et la déforestation.
Le principal aspect visible du changement climatique est la déforestation. Mais allons plus loin et analysons le rôle des institutions dans la déforestation. En effet, l'histoire d'un pays est un facteur important pour comprendre sa déforestation, en particulier en ce qui concerne les institutions car les origines légales et coloniales sont des déterminants importants de la déforestation.
Le Brésil est caractérisé par une économie basée principalement sur des activités agricoles et industrielles. Cependant, ces activités florissantes d'exploitation de la terre sont contre la promotion des pratiques environnementales. Comment mieux équilibrer la préservation de l'environnement et le développement économique ?
D'une part, les principales causes de la déforestation au Brésil sont l'expansion agricole. En effet, la principale cause de déforestation est l'élevage bovin (Fearnside, 2015). En outre, les différents gouvernements ont mis en œuvre des politiques qui n'étaient clairement pas en faveur de la protection de la forêt amazonienne. Dans les années 1970 et 1980, les incitations fiscales ont fortement contribué à la déforestation. Il était en fait bon marché et efficace d'utiliser la terre en coupant des arbres pour le pâturage du bétail, ce qui à l'époque a largement favorisé l’activité. Par exemple, en 1995, lors du redressement du Plano Real (1994), les crédits agricoles autrement dit la fourniture d'argent liquide aux propriétaires terriens ont beaucoup augmenté. Le gouvernement a investi massivement dans l'infrastructure liée au développement des ranchs d'élevage et des champs massifs de soja. Des investissements ont été réalisés dans les voies navigables, les chemins de fer et les autoroutes afin de mieux transporter les produits. Cela a conduit à une expansion de l'industrie agricole, très rentable et donc, à une augmentation de la déforestation. Fearnside souligne également un phénomène controversé qui n'est pas négligeable : "L'argent provenant de la drogue, de la corruption et de nombreuses autres sources illégales peut aussi être blanchi en investissant dans des entreprises douteuses et rentables, comme les dragues à orpaillage et les ranchs de bétail en faillite. L'augmentation rapide du commerce de la drogue en Amazonie risque d'exacerber cette tendance". Il s'agit d'une question très sérieuse au Brésil, souvent touché par la corruption. Ainsi, la déforestation est fortement liée à la corruption et donc à l'efficacité des institutions. Si les institutions sont faibles et inefficaces dans la lutte contre la corruption, la déforestation ne diminuera pas.
Les institutions jouent un rôle majeur dans le processus de préservation et de protection de l'environnement, en particulier des forêts (Marchand, 2016). De plus, les théoriciens de l'économie du développement ont étudié l'impact de l'identité et de la stratégie de la puissance coloniale sur le développement des pays précédemment colonisés. Il est donc très intéressant de constater que les institutions peuvent perdurer dans le temps grâce à l'héritage ou au patrimoine culturel fourni par la colonisation. Par exemple, Acemoglu et al (2001) soutiennent que les institutions passées ont persisté au fil du temps, de sorte que les effets actuels des institutions sur le développement économique peuvent s'expliquer par les institutions passées conçues par les Européens dans leurs colonies. Les institutions, " définies comme la structure incitative qui façonne les interactions économiques humaines ", peuvent aider à faire évoluer le système vers une gestion forestière durable et un développement économique durable. Dans la littérature sur l'économie du développement, les auteurs ont tenté de trouver une relation entre la déforestation et les institutions politiques en tenant compte des politiques informelles telles que la corruption et le régime des droits de propriété. En effet, " définie comme une politique informelle en faveur de la déforestation, la corruption favorise les activités de recherche de rente et développe des productions forestières mal gérées qui conduisent, à leur tour, à une surextraction des ressources ". D'autant plus que les industries forestières sont souvent situées dans des régions éloignées, loin de la presse et du pouvoir politique. La déforestation est un processus d'extraction de capital peu intensif, de sorte que des droits de propriété mal définis ont tendance à conduire à une surextraction et à une déforestation accrue. Il faut donc admettre que la déforestation est un problème profondément lié à l'histoire du Brésil. En effet, Marchand constate que « plus la qualité de la gouvernance du pays ou l'indice de démocratie du pays est faible, plus la déforestation est importante dans les anciennes colonies britanniques et espagnoles par rapport aux anciennes colonies françaises ». Il y a une grande différence selon que le pays ait été colonisé par les Britanniques ou par les Français. En effet, les anciennes colonies britanniques ont tendance à déboiser davantage que les anciennes colonies françaises. Cependant, " un renforcement de la démocratie ou de la qualité des institutions permet de réduire la déforestation seulement dans les anciennes colonies britanniques et espagnols contrairement aux anciennes colonies françaises. Ces dernières auraient hérité des pires caractéristiques institutionnelles.
En ce qui concerne le Brésil, le principal problème est l'absence d'une gestion forestière efficace qui conduit à une déforestation massive. Partout dans le monde, la forêt est donc principalement considérée comme une source de contrôle politique et de profits économiques et non comme une ressource naturelle à préserver. Par exemple, dans l'article de Fearnside, il est dit qu'en Amazonie brésilienne, le poids relatif des petits agriculteurs par rapport aux grands propriétaires terriens change continuellement avec les pressions économiques et démographiques. Les grands propriétaires fonciers sont les plus sensibles aux changements économiques tels que les taux d'intérêt et autres rendements financiers, les subventions gouvernementales pour le crédit agricole, le taux d'inflation et le prix des terres. La nature est alors une question d'argent et de profits. Le défi de l'État est donc d'intervenir dans des endroits difficiles d'accès, comme les zones rurales ou ici la forêt amazonienne. Ils feront beaucoup d'efforts pour le faire parce que ces territoires regorgent de ressources naturelles, de possibilités d'exploitation et d'enrichissement. Cependant les populations vivant dans ses zones ne parviennent pas à contrebalancer le pouvoir du gouvernement qui a une intention différente en ce qui concerne l'utilisation de la forêt. Cela rend la protection de la zone très difficile car les pouvoirs ne sont pas équilibrés.
Cette idée de l’intervention étatique vient également de James C. Scott dans " Seeing like a state ". Il est connu pour avoir représenté le monde moral des paysans, montrant comment ils ont résisté à l'empiétement du capitalisme et de l'Etat. Il cite l'exemple des États-Unis et de l'URSS. Mais nous pouvons faire le parallèle avec le Brésil et sa volonté de devenir le leader de la production agricole. Au moment de la guerre froide (1947-1991), il y avait une compétition de longue date entre les Russes et les Américains. Les Russes étaient certainement jaloux du niveau de mécanisation des Américains ; et les Américains étaient aussi certainement jaloux de la portée politique de la planification créée par les communistes. Partant de ce principe, l'objectif était de créer une agriculture industrielle à grande échelle. C'est ainsi que dans les années 1930, de nombreux ingénieurs sont arrivés sur le territoire russe pour développer la mécanisation de l'agriculture. C'est là que nous voyons l'influence phénoménale de Frederick Taylor et le travail en chaîne. Les ingénieurs se sont inspirés des mécanismes des usines modernes pour imiter ces processus dans l'agriculture.
L'idée d'une ferme "industrielle" a fait passer des fermes qui étaient auparavant de petites tailles à une production de masse à grande échelle. La mécanisation et la normalisation de la production visaient à réduire les coûts de production. James C. Scott analyse l'exemple de l'une des plus grandes fermes des États-Unis, la ferme Campbell dans le Montana, dont l'agrandissement a entraîné la destruction des fermes familiales au profit de grandes économies d'échelle et de la gestion centralisée des terres. Les Russes, jaloux de la performance des Américains, se rendaient souvent à la ferme Campbell pour négocier la transmission et l'échange des compétences et des méthodes. L'Union soviétique a donc engagé des milliers de techniciens et d'ingénieurs américains et acheté de nombreuses machines agricoles américaines pour développer leurs propres fermes industrielles. Où est le Brésil dans cette histoire ?
La question est de savoir comment le Brésil a suivi cette voie de production agricole massive et comment, de nos jours, cela a conduit à une déforestation massive. Peut-être à cause de l'hégémonie économique des gouverneurs de l'État. Peut-être à cause de la prédominance de l'économie sur la protection de la terre et de la nature. Peut-être à cause des valeurs du capitalisme qui sont basées sur l'exploitation de chaque être vivant. Le modèle agricole brésilien est en effet la cause principale de la déforestation et il aggrave fortement le changement climatique. Les conséquences sont mondiales mais commencent à l'intérieur du pays.
Les impacts de la déforestation sont énormes en ce qui concerne le changement climatique. Fearnside met en lumière quatre impacts principaux de la déforestation : la perte de productivité, les changements de régime hydrologique, une perte de biodiversité et les émissions nettes de gaz à effet de serre. La première est liée à l'érosion du sol, à l'épuisement des nutriments et au compactage du sol. Comme la qualité des sols se dégrade, la productivité agricole diminue également. Cela fonctionne comme un cercle vicieux. Pour contrer la dégradation du sol, la solution consiste à injecter continuellement des nutriments et des engrais, mais cela ne fonctionne pas sur le long terme. Le deuxième impact est la perte des fonctions des bassins versants causée par la conversion de la forêt en pâturages. Cela crée des crues soudaines suivies de périodes d'arrêt du débit et entraîne un dérèglement de l'écosystème naturel. En fait, le pourcentage d'eau recyclée dans le bassin amazonien est maintenant beaucoup plus faible qu'auparavant. L'eau qui se trouve habituellement dans la forêt amazonienne s'écoule vers d'autres endroits, ce qui a également des conséquences sur les zones urbaines. Le troisième impact est la perte d'une grande partie de la biodiversité brésilienne. Les espèces de plantes et d'animaux sont gravement menacées. Enfin et surtout, le quatrième impact est l'émission de gaz à effet de serre par les incendies de forêt. Mais le Brésil, comparé à d'autres forêts tropicales, a un potentiel beaucoup plus énorme pour les émissions futures.
Les taux de déforestation en Amazonie ont tendance à augmenter depuis les années 1990, avec une prévision claire d'un rythme encore plus rapide. Et le profit tiré des bovins de boucherie n'est qu'une des sources de revenus qui rendent la déforestation rentable. Ces dernières années, ce processus s'est poursuivi et s'est même intensifié sous la forme d'une expansion des grands projets agricoles, miniers, énergétiques et infrastructurels. Cela ne s'arrêtera pas de sitôt, car la pression des lobbies agricoles dans l'environnement politique ne cesse de prendre de l'importance.
En effet, les politiques globales de développement et d'environnement sont définies principalement par le lobby agro-industriel. Pour étudier la déforestation, il faut s'intéresser aux groupes les plus puissants qui utilisent les terres afin de comprendre les relations de pouvoir dans l'économie politique concernant les pratiques environnementales. Ce qui est généralement revendiqué par le lobby de l'agro-industrie, c'est le conflit entre la restauration des forêts et la production agricole. L’économie du brésilienne repose également principalement sur les minéraux non renouvelables. Le modèle brésilien de distribution de la protection sociale repose essentiellement sur l'extraction des ressources à grande échelle. "En augmentant l'extraction et en dirigeant une partie des revenus vers les populations qui en ont besoin, le néo-développementalisme allie le désir des élites extractives d'extraire davantage de ressources à celui de larges groupes de pauvres d'accéder à la protection sociale. "(Gudynas, 2015).
Cependant, dans les années 2000, certains politiciens ont commencé à lutter contre la déforestation et pour les droits de la forêt. Par exemple, en 2006, le Brésil a promulgué la loi sur la gestion des forêts publiques. Cette loi a créé un régime forestier établissant des concessions et une réglementation par le ministère de l'Environnement et l'Institut des ressources naturelles (IBAMA). Les concessions ont été autorisées dans le cadre d'un processus d'appel d'offres public. En particulier pendant la présidence Lula, il y a eu quelques initiatives pour conserver ces zones, y compris les réserves autochtones.
Ces initiatives ont placé 46 % de la superficie légale des terres amazoniennes sous un certain statut de protection et 60 % de ces terres protégées étaient régies par des acteurs forestiers locaux. Mais ce qui en est ressorti n'était pas si efficace. Les chercheurs ont fait valoir que ce système ne permettra pas une croissance suffisante des espèces commerciales et que les organismes forestiers n'ont pas le personnel nécessaire pour enseigner les techniques de récolte à faible impact et appliquer les règlements.
De plus, cette période d'espoir pour la protection de la forêt n'a pas duré longtemps. Avec le second mandat de Dilma Rousseff, les socio-environnementalistes ont été déçus par la nomination de politiciens de droite très hostiles à l'environnement. Par exemple, elle a nommé Kátia Abreu, figure de proue du lobby agro-industriel et présidente de la Confédération brésilienne de l'agriculture (un groupe de pression composé de grands propriétaires fonciers), au poste de ministre de l'Agriculture. Il en a résulté une diminution de la protection de l'environnement : les zones de préservation des sommets des collines ont été supprimées dans une large mesure, ce qui a permis l'érosion en raison des pâturages intensifs, les zones de protection des mangroves ont diminué de 50 à 80 %, par exemple. Depuis 2012, la réduction de la réglementation environnementale s'est intensifiée. Les partisans de l'économie "brune" utilisent les arguments suivants : "étendre les plantations pour nourrir le monde", et que "seulement" 19% de la forêt amazonienne brésilienne a été perdue par rapport à l'Europe occidentale qui a perdu beaucoup plus historiquement". Ces personnes occupent des positions dominantes au sein du gouvernement brésilien, accordant une grande importance à ce type de politiques cachées derrière les arguments du "développement", de la "sécurité alimentaire" et de la "croissance du Brésil". L'agriculture est considérée comme un concept de "durabilité environnementale". L'objectif du ministre Abreu était de faire du Brésil le plus grand producteur mondial d'aliments en vrac, dépassant les États-Unis. Et pour atteindre cet objectif, les forêts ne sont pas présentées comme des sources de nourriture mais comme des obstacles. Cependant, sans forêts, la planète de dégradera, donc même si nous mettons tous nos efforts pour produire plus de nourriture, l'efficacité de l'agriculture diminuera fortement avec l'utilisation des techniques modernes de l'agriculture. La déforestation a en effet de grandes conséquences sur le changement climatique dont les principaux moteurs sont l'agriculture et l'élevage.
Bibliographie
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