Note de lecture - Le temps de la décroissance de Serge Latouche - (Les Bords de l'eau, 2012)
Le Constat
Le 4ème rapport du GIEC (Groupe intergouvernemental sur l'évolution du climat) de 2007 indique que même si nous arrêtons du jour au lendemain tout ce qui engendre un dépassement de la capacité de régénération de la biosphère, nous aurons deux degrés de plus avant la fin du siècle.
La montée des eaux et la désertification causeraient l'abandon de nombreux territoires et des millions de réfugiés climatiques : 50 millions en 2030, 200 millions en 2050 et jusqu'à 2 milliards à la fin du XXIe siècle. Nous serions par ailleurs responsables de la disparition chaque année de 27 000 à 63 000 espèces d'après Edward O.WILSON, The diversity of life.
Selon la FAO (Organisation des Nations-Unies pour l'agriculture et l'alimentation), les trois quarts de la diversité génétique des cultures agricoles ont été perdus au cours du siècle dernier.
L'allongement de la durée de vie est souvent perçu comme un des bienfaits du développement économique occidental. Cependant, 10 % seulement des dépenses de recherches médicales sont orientées vers les maladies dont 90 % des individus les plus pauvres sont porteurs (Guy Roustang, Le dictionnaire de l'autre économie). L'allongement de la durée de vie en Occident depuis 1950 a été de 3 heures par jour environ, ce qui correspond au temps moyen passé par un Européen devant la télé et à deux fois celui de la durée de transport quotidien d'un Francilien (Luigino BRUNI, La ferita dell'altro. Economica e relazioni umane, 2007). La qualité (purement physiologique) de la vie diminue. Le nombre des handicapés augmente, la santé est devenue plus fragile. Des lanceurs d'alerte, comme le docteur Dominique Belpomme, soulignent le lien entre développement des cancers-notamment chez les enfants- et la prolifération des produits toxiques, responsables de l'empoisonnement de la terre et de l'eau.
Le mimétisme et la rivalité ostentatoire deviennent auxiliaires d'une monstrueuse mécanique à produire du gâchis. C'est le triomphe de la colonisation de l'imaginaire par l'idéologie consumériste. Le triomphe de l'idéologie néolibérale dans les années 1970 avec Margaret Thatcher et Ronald Reagan encouragea l’exacerbation de la concurrence. Tous les produits et même les services devaient être compétitifs, ce qui conduisit à une compression des coûts salariaux. En France, selon l'INSEE, la part des salaires dans le PIB atteignait 74% au début des années 1980, pour tomber à 65% au début du XXIe siècle. La raréfaction du temps de vivre est rigoureusement proportionnelle à l'allongement de notre durée de vie. La vie n'est plus que consommation et consumation de temps, de travail, d'argent.
La croissance se trouve stimulée grâce à la prolifération de dettes reconnues et contractées par les peuples.
L'abandon du contrôle des mouvements de capitaux, encouragé par la règle ultra-libérale des trois D (déréglementation, désintermédiation, décloisonnement), nous contraignait à admettre qu'il ne pouvait y avoir de capitalisme sans crise financière. Moins d’État, plus de concurrence, moins de réglementation, plus de liberté sauvage, moins de protection et de protectionnisme et plus d'échanges. La mondialisation triomphe et montre très vite son vrai visage : exploitation accrue de l'homme et de la nature, financiarisation de l'économie, dérégulation, exclusions, détérioration des liens sociaux, uniformisation culturelle, occidentalisation du monde, dégradation du climat et des sols, déforestation, désertification...
Tout ce dont nous avons besoin pour vivre (ce que nous produisons, consommons, rejetons) se traduit par l'usage d'une certaine quantité de terre, champs de blé pour nous nourrir, de coton pour nous vêtir, forêt pour nous chauffer ou recycler le dioxyde de carbone que nos voitures émettent... C'est l'empreinte écologique. Si les sociétés humaines adoptaient le mode de vie américain, l'humanité aurait besoin de 5 planètes !
En 2005, nous dépassions la capacité de régénération de la biosphère de 30 à 40%. En une année nous brûlons l'équivalent de ce que la photosynthèse sur l'ensemble de la surface terrestre produit en 100 000 ans. Au-delà d'un certain seuil, le coût marginal de la croissance dépasse de beaucoup ses bénéfices. Le temps de la décroissance est donc venu ! La société de sobriété choisie, qui émergera dans son sillage, supposera de travailler moins pour vivre mieux, de consommer moins mais mieux, de produire moins de déchets, de recycler plus. Bref, de retrouver le sens de la mesure et une empreinte écologique soutenable.
Le développement durable est un oxymore, une figure de style qui sollicite notre attention tout en anesthésiant notre sens critique.
Les réponses apportées par le mouvement de la décroissance
La décroissance est un concept économique, politique et social qui se veut opposé à l'objectif international d'accroissement des richesses par l'augmentation de la production. Il s'agit de réduire notre emprunte écologique par une diminution de notre consommation, de la production et d'un accroissement de la qualité de la vie par une réduction du temps de travail ; la solidarité ; la convivialité ainsi que la dépollution de l'environnement.
Une ville écologique, faite de villages urbains où cyclistes et marcheurs utiliseront une énergie renouvelable, est sans doute appelé à remplacer les mégalopoles actuelles. Le système de transport en automobile est sans doute le plus inefficace jamais inventé par l'homme. Ivan Illich (Energie et Equité, 1977) et Jean-Pierre Dupuy ont montré que, si l'on intègre dans le temps de déplacement d'un véhicule son temps d'immobilité dans les embouteillages, le temps passé au travail pour gagner de quoi l'acquérir, payer l'essence, les pneus, les péages, l'assurance, les contraventions (sans même parler des accidents...), ce qu'on peut appeler la vitesse généralisée (de l'automobiliste) ne dépasse pas 6 km/h soit à peu près celle du piéton. On ne peut qu'encourager l'usage du vélo en agglomération pour les trajets quotidiens.
Un partage des gains de productivité en faveur du travail permettrait d'en réduire la durée. Lorsque la puissance productive est améliorée, pourquoi faut-il que cet effort favorise, prioritairement, la baisse du coût des produits, celle de leurs prix et la hausse des profits ? La baisse du temps de travail pour un salaire égal à un temps plein serait une juste rétribution pour les travailleurs, lesquels sont les premiers facteurs des gains de productivité.
« Slow Food » est un mouvement auquel adhèrent, à travers le monde 100 000 producteurs, paysans, artisans et pêcheurs qui luttent contre l'uniformisation de la nourriture et pour retrouver le goût et les saveurs. La diversité de production agricole permet de renforcer la résistance et les capacités d'adaptation. Réintroduire les jardins potagers, la polyculture, l'agriculture de proximité, de petites unités artisanales, multiplier les sources d'énergies renouvelables renforcent la résilience (capacité à résister à un choc). Les circuits courts de distribution comme les AMAP (Associations pour le maintient de l'agriculture paysanne), la relocalisation de l'activité productive et tout particulièrement la restauration de l'agriculture paysanne deviennent prioritaires. Les AMAP permettent à l'enracinement en zone périurbaine une économie sociale et solidaire, l'installation de jeunes agriculteurs échappant aux tentations douteuses de l'agro-industrie ainsi que le maintien, voire la reconquête de l'emploi agricole. En France, la mécanisation excessive de l'agriculture a fait fondre la population agricole : en 1962, on dénombrait encore 3 millions d'agriculteurs ; ils n'étaient plus que 600 000 au détour des années 2000.Face aux crises alimentaires qui sévissent en Afrique et en Asie, la FAO a d'ailleurs fini par reconnaître le rôle déterminant de l'agriculture paysanne et familiale dans le rétablissement de la souveraineté alimentaire.
Il faut se réapproprier progressivement la monnaie, elle doit servir et non pas asservir. Une monnaie complémentaire permet de mobiliser des biens disponibles qui sans cela seraient inutilisés pour satisfaire une demande non solvable. La bonne échelle d'un système monétaire régional se situe dans une fourchette entre 100 000 et 1 million de personnes. Exemple des créditos en Argentine lors de la grave crise monétaire des années 2000 : ces monnaies complémentaires, qui se sont substituées au peso défaillant, ont permis à plus de 6 millions de personnes, le plus souvent démunies, de restaurer les échanges quotidiens et de garantir leur survie. Exemple du Chiemgauer en Bavière.
La décolonisation de l'imaginaire passe aussi par le changement du regard que nous portons sur les « pauvres » du Sud. Il est temps de considérer qu'à bien des égards, les communautés résilientes d'Afrique ou de Papouasie ne sont pas en retard, mais au contraire, à certains égards, en avance, et que nous devons nous mettre à leur écoute pour reconstruire du sens dans nos sociétés à la dérive.
Nous ne pouvons plus nous débarrasser et nous lasser du débat politique, oublier l'urgence d'une ré-appropriation des enjeux démocratiques « en faisant comme si » l'engagement citoyen et responsable n'appartenait qu'aux élus.
Les sociétés qui autolimitent leur capacité de production sont, aussi, des sociétés festives ! L'utopie est une vision imaginaire du futur, vision qui n'est ni totalement fantasmatique ni une pure création mais une affirmation à partir de la négativité du présent, l'aberration d'un société de croissance sans limites.
Pour aller plus loin