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Sécurité alimentaire et instabilité politique: L'agriculture victime et source de conflits


Le conflit syrien et son prolongement sur le territoire irakien ont mis en évidence les conséquences destructrices des combats armés sur la production agricole. Plus généralement, les conflits engendrent des mouvements de déstabilisation importants, à la fois dans le pays concerné et dans la zone géographique alentour. A travers le cas de la Syrie notamment, il sera montré que l'instabilité politique pénalise la production agricole d'un pays et donc sa sécurité alimentaire, mais aussi que les mouvements de population qu'elle engendre accentuent l'urgence alimentaire.

 

La Syrie, autrefois berceau de l'agriculture, est en passe de devenir un véritable désert agricole à cause du meurtrier conflit interne qui ravage le pays. La déstabilisation de la situation politique et sociale de la Syrie (graphique 1) a rapidement menacé la sécurité alimentaire du pays et mis en alerte les principaux organismes internationaux sur l'incapacité du pays à nourrir sa population.

Gaphique 1 : Évolution de l'instabilité* politique en Syrie

*L'indicateur de stabilité politique / absence de terrorisme utilisé par la FAO est l'un des indices du projet "World Governance Indicator" de Kauffman, Kraay et Mastruzzi mené par la Banque Mondiale. C'est un indice oscillant entre 2,85 et -2,85, une valeur proche de -2,85 indiquant une situation de guerre.

Les statistiques disponibles montrent l'effondrement de la production de blé depuis l'apparition du conflit. La région avait, en outre, subi une sécheresse historique de 2007 à 2010. Ce phénomène climatique avait sérieusement réduit les disponibilités en céréales et déjà occasionné un exode rural important (graphique 2). Cette sécheresse est d'ailleurs une conséquence du changement climatique auquel le bassin méditerranéen est particulièrement sensible, les températures ayant progressé de 1 à 1,2 degré et les précipitations ayant baissé de 10% en moyenne depuis 1990. La production a atteint son plus bas niveau en 2014 avec 1,97 million de tonnes produits, soit une baisse de 52% sur la moyenne de 2001 à 2011. Les dernières estimations pour 20165 montrent un rebond de la production à hauteur de 2,44 millions de tonnes grâce à des pluies abondantes, mais cela reste bien trop peu pour couvrir les besoins de la population.

Graphique 2 : Écroulement de la production de blé en Syrie

Des déplacements internes et externes de population

Le conflit en Syrie a eu pour conséquences la destruction pure des terres agricoles, l'abattage d'une grande partie des cheptels et de limiter l'approvisionnement en intrants pour les cultures encore intactes. De plus, la destruction d'infrastructures telles que des bâtiments agricoles, des silos et des entrepôts de stockage, et des routes ont restreint l'acheminement et l'accès aux produits alimentaires. Par ailleurs, les combats ont poussé à un important exode rural des populations vers les villes. Les populations déplacées ont été contraintes d'abandonner leurs terres, les surfaces cultivables se sont donc réduites et la production agricole s'est trouvée lourdement impactée alors que les besoins alimentaires n'ont jamais été aussi importants avec ces phénomènes de migrations internes. Près de 7 millions d'habitants ont été déplacés en Syrie, et 4 millions se sont réfugiés à l'étranger, soit presque un syrien sur 2 en tout. L'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) évalue que 6,8 millions de ces syriens ont besoin d'une aide alimentaire d'urgence.


L'autre problème soulevé par les déplacements de population concerne leur accueil dans les pays limitrophes comme la Jordanie, le Liban et l'Irak. Ces pays n'ont eu que peu de ressources pour subvenir aux besoins des réfugiés, et leur situation économique et politique fragile est un handicap majeur por améliorer le sort de ces populations. Les aides fournies sont insuffisantes pour nourrir des personnes majoritairement constituées d'enfants et de femmes pauvres. D'après les observations communiquées par la Banque Mondiale (BM), près de la moitié des réfugiés syriens en Jordanie et au Liban sont des enfants, sept réfugiés sur dix sont considérés comme pauvre et une grande majorité le deviendra dans un avenir proche.

Des déséquilibres monétaires qui alimentent l'insécurité alimentaire

Au niveau macroéconomique, le conflit a provoqué une explosion de l'inflation, les dernières données disponibles montrant une hausse de 32% de l'indice des prix à la consommation en 2012 au début des combats, grevant ainsi le pouvoir d'achat des ménages et rendant le prix des produits de base inaccessibles. De plus, la décision du gouvernement de supprimer les subventions sur certains produits alimentaires a amplifié la hausse des prix (à titre d'exemple, le prix de la baguette a augmenté de 87% à la suite de cette mesure d'après la FAO). Cette inflation a contribué à entrainer le mouvement de dépréciation de la livre syrienne (LS) sur le marché des changes, alors que la situation économique et politique avait déjà très largement incité les investisseurs à placer leurs capitaux ailleurs. En moyenne sur l'année 2015, le taux de change dollar / livre syrienne s'élève à 1$ = 200LS, alors qu'il était de 1$ = 50 LS en 2009 à son plus haut cours. Le déficit de la balance commerciale s'est donc gravement creusé, et les réserves de change sont quasiment épuisées pour pouvoir intervenir sur le marché des devises et contenir la chute de la devise. Au final, la dépréciation de la libre syrienne a fortement renchéri le prix des importations en bien alimentaires, et menace encore un peu plus la capacité des habitants du pays à se nourrir alors que le pays n'a jamais été aussi dépendant vis-à-vis de l'extérieur.


Dépendance symbolisée par la multiplication de échanges et des prêts auprès des derniers alliés restants que sont l'Iran et la Russie, ce qui sera très problématique dans l'hypothèse où le pays retoruve une stabilité politique. L'endettement extérieur auprès de ses partenaires et l'abandon de sa souveraineté alimentaire auront des répercussions pour un très long terme sur le modèle économique et agricole de la Syrie.


L'intervention d'institutions internationales est primordiale pour atténuer l'impact des conflits dans ces zones défavorisées, et l'aide alimentaire est le premier levier pour parvenir à cet objectif. La rapidité, l'efficacité et la durée de ces interventions seront déterminantes pour nourrir correctement des populations majoritairement constituées de femmes et d'enfants, et les prémunir contre des carences alimentaires qui auraient des conséquences irréparables sur leur santé.

Carte mondiale des urgences alimentaires en 2015

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