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Quels enseignements de l'expansion récente du tourisme à Cuba ?


Photo prise à La Havane par Giulio Montrasi (2016)


 

Le 28 juin 2016 dernier, un événement relevant il y a encore peu de temps de la science-fiction s'est déroulé à Cuba : pour la première fois un hôtel américain – le « Four Points by Sheraton » - a ouvert sur l'île, dans la lignée du processus de rapprochement entre les deux pays entamé par Barack Obama depuis 2009, ce dernier ayant aussi réalisé une visite historique dans le pays en mars 2016. C'est évidemment une avancée majeure compte tenu de l'historique durant le dernier demi-siècle entre ces deux Etats.


En effet, les relations entre les deux Etats sont depuis la première moitié du XXeme siècle très hostiles. Afin d'en comprendre les causes, il est nécessaire d'évoquer l'histoire de Cuba.

Ancienne colonie espagnol, l'île est soumise dès son indépendance en 1898 à la suprématie américaine, notamment par un gouvernement militaire américain. Les Etats-Unis s'approprient deux bases navales en contrepartie de privilèges douaniers sur les produits cubains. Cette faible autonomie permet néanmoins à Cuba de garder une certaine stabilité. Cependant, suite à la Première Guerre mondiale, et à la crise de 1929, des mouvements anti-américains voient le jour. Effectivement, Cuba plonge dans une dépression économique, et d'importants troubles sociaux se font ressentir. Dans ce contexte morose, la dictature et la corruption prennent place. En 1956 Fidel Castro accompagné d’Ernesto Rafael Guevara, plus connu sous le nom de Che Guevara, apparaissent comme des figures emblématiques de la résistance urbaine et d'une guérilla rurale contre la dictature de Fulgencio Batista. Accompagnés du M-26, une résistance s’organise. Cependant, les révolutionnaires cubains ne parviennent pas à s’imposer et ils sont exposés à de nombreuses défaites. Mais l’impopularité de Batista avec une misère de plus en plus importante permet au groupe de se reconstituer et de remporter la victoire lors d’une offensive menée par Batista en 1958. Après une série de défaites, Batista s’enfuit en République Dominicaine permettant à F. Castro de se consacrer aux futures élections. Il parvient en 1960 à la tête du nouveau régime, ce qui porte un coup d'arrêt à l'intérêt que les Etats-Unis portaient jusqu'à là à l'île. Les nationalisations, les réformes agraires et l'orientation communiste d Cuba entraînent un blocus économique et commercial.


Mais la situation s’envenime lorsque Khrouchtchev installe secrètement des missiles sur le territoire cubain, représentant une menace pour les Etats-Unis, le président à l’époque, John F. Kennedy décide d’imposer un blocus maritime en bloquant les voies d’accès vers le pays. Cuba se trouve alors être la scène d’un susceptible conflit ouvert entre l’URSS et les Etats-Unis. Mais grâce à un compromis trouvé entre les deux puissances, la guerre nucléaire est évitée de justesse.


En outre, l’embargo pèse sur la situation économique de Cuba. Selon l’ONU en 2013, les pertes infligées à Cuba depuis le début du blocus en 1960, s’élèvent à plus de 1 126 milliards de dollars. Ceci est notamment lié à la restriction des flux commerciaux et financiers. Effectivement, les échanges commerciaux sont réglementés, Cuba n’est pas autorisé à utiliser le dollar pour ses transactions internationales, les banques américaines refusent de faire crédit aux importateurs cubains de produits américains ou encore les entreprises ou banques étrangères sont pénalisées lorsqu’elles tentent d'intervenir à Cuba. De plus, le tourisme est aussi affecté par des procédures de voyage laborieuses pour les Américains souhaitant se rendre à Cuba. Tout transfert d’argent ou de biens vers Cuba est interdit afin d’affaiblir la vie économique de Cuba. Ces interdictions semblent malgré tout s’atténuer ces dernières années.


Malgré la fin de l'influence soviétique, la radicalisation se poursuit jusqu'à la fin du vingtième siècle, et le manquement aux droits de l'homme de Cuba ne fait que renforcer les tensions entre Cuba et les Etats-Unis. C'est suite à une série de réformes économiques, qu'en 2014 B. Obama et R. Castro s'orientent vers une ouverture des discussions en vue de normaliser la situation entre les deux pays, la réouverture des ambassades marque d’ailleurs une étape décisive en 2015. Cependant, même si les relations diplomatiques sont officiellement rétablies en 2016, des progrès restent à faire.


Cette mutation dans les relations internationales de Cuba est doublée d'une expansion forte et récente du tourisme : 3,5 millions d'étrangers ont visité le pays en 2015, soit une augmentation de 17 % par rapport à l'année précédente, et 2 millions d'américains pourraient se rajouter à ce total en cas d'abrogation de l’interdiction de voyage touristique. Cette « nouvelle » dynamique peut-elle permettre d'envisager un réel processus de développement pour la population, ou est-ce seulement le signe d'une attractivité ponctuelle de l'île ?


L'explosion récente de l'activité touristique est indéniable, et explicable par différents facteurs : le cadre d'une île antillaise ayant en plus un patrimoine historique et culturel fort attire les touristes, et cela a été renforcé par une diversification et une amélioration des services proposés. Aussi, Cuba présente, compte tenu des récents événements, une relative sécurité pour les touristes occidentaux par rapport aux pays du Maghreb par exemple, ou même plus généralement par rapport à d'autres pays d'Amérique Latine. La réouverture des relations avec les Etats-Unis a forcément joué dans ce processus, qui fut aussi alimenté par l'accord de La Havane du 16 février devant permettre jusqu’à 20 vols quotidiens entre les États-Unis et La Havane. De nombreuses compagnies américaines se sont évidemment déjà positionnées sur le marché dans l'objectif d'en capter une grande partie le plus vite possible, cela représentant aussi forcément un enjeu pour Cuba puisque 14,1 % de son PIB est tiré de l'activité touristique. Cependant, selon Taleb Raifi, le secrétaire général de l'Organisation Mondiale du Tourisme, « le défi pour Cuba serait désormais de gérer les visiteurs, non de savoir comment les attirer ».

En effet, le secteur touristique national fait face à un goulot d'étranglement, avec seulement 63000 chambres la capacité d'accueil est insuffisante face à une demande en pleine expansion. De nombreux projets hôteliers sont ainsi en cours, Bouygues a aussi été choisi pour la rénovation de l'aéroport de La Havane, mais ceux-ci n'étant pas instantanés le pays va devoir faire face à ce problème à court terme. La conséquence directe est évidemment une inflation classique de pénurie (l'offre est inférieure à la demande), le loyer des casas particulares a par exemple doublé. Cela peut tout de même être bénéfique au pays, la rareté pouvant en quelque sorte augmenter automatiquement la demande (désir d'obtenir ce qui est rare) mais aussi opérer à une « montée en gamme » des touristes, phénomène déjà observable aujourd'hui.

Au-delà de l'expansion de ce secteur, l’État a lui aussi un rôle à jouer s'il désire que la population puisse bénéficier d'un réel processus de développement du pays plus profond, permettant d'envisager autre chose qu'une économie basée purement sur le tourisme. Logiquement, il n'y aura en aucun cas de libéralisation rapide de l'économie, alors que le secteur public concentre toujours à peu près 80 % de l'activité, l'idée étant plus une émergence contrôlée et surveillée du secteur privé. Il nous est possible de citer différents exemples de mesures engagées par l’État allant dans ce sens : loi favorisant les investissements directs à l'étranger (IDE), financements publics pour le développement de structures coopératives et privées, expansion des exportations de services professionnels (main d’œuvre qualifiée en abondance), recul du rôle de l’État dans les secteurs agricoles, immobiliers et la suppression de certaines subventions ou services publics gratuits. Sur ce dernier point des réactions sociales se sont vite fait entendre, le gouvernement assurant la mise en place de mesures « progressives », il est clair que le poids de l'histoire du pays est fondamentale dans la mise en place de politiques économiques. Pour illustrer les difficultés que cette dynamique d'ouverture pourrait rencontrer, il est possible de prendre l'exemple du système de double-monnaie présent depuis plus de 20 ans, dont Raul Castro avait annoncé le début du processus de réunification en 2013.


In fine, l'expansion massive du tourisme à Cuba ces dernières années est due à la combinaison simultanée de plusieurs facteurs mais fait déjà face à un problème de capacité d'accueil, ce qui est préoccupant compte tenue de la place du secteur dans l'activité nationale. Aussi, il est évident que cette expansion n'est pas suffisante pour espérer un développement long et stable du système dans sa globalité, processus qui nécessitera une intervention forte mais localisée et progressive de l’État. Ce dernier compte sur un soutien populaire indispensable à la réussite de l'inflexion des politiques économiques, or, celui-ci semble plus que jamais instable à Cuba et tiendra probablement en partie du respect de la « tradition socialiste » du pays. Une nouvelle révolution semble en quelque sorte en marche, mais au cas où celle-ci venait à échouer il est clair que l'île pourrait craindre de rester figée comme une pâle copie d'un vestige historique du XXème siècle, comme le décrivait Frédéric Martel dans un article à ce sujet pour Slate.fr Mettez un hyperlien sur « copie d’un vestige... »



  • Références :

- http://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/Cuba_histoire/187052


- http://www.americas-fr.com/histoire/fidel-castro.html


-http://www.cvce.eu/collections/unit-content/-/unit/55c09dcc-a9f2-45e9-b240-eaef64452cae/1a129293-e61b-45be-a9f2-d96bfbf1d262


- http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/cuba-le-prix-du-blocus-185133 (utilisé pour certaines conséquences économiques mais attention car interrogation sur la neutralité du site et Tribune libre)


- http://www.lesechos.fr/16/04/2016/lesechos.fr/021846907618_cuba---pas-de--therapie-de-choc--pour-modernier-l-economie--selon-raul-castro.htm


-http://www.cubania.com/post/ligne-economique-cuba/


- http://www.actulatino.com/2016/06/17/cuba-le-tourisme-a-le-vent-en-poupe-les-visiteurs-etrangers-affluent-sur-l-ile/


- https://www.letemps.ch/economie/2016/04/04/tourisme-cubain-un-goulet-etranglement


- http://www.courrierinternational.com/article/cuba-du-jamais-vu-depuis-1959-un-hotel-americain-la-havane


- http://www.slate.fr/story/120439/mauvaises-raisons-cuba-destination



- http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2016/07/20/entre-cuba-et-les-etats-unis-un-degel-encore-fragile_4972455_3222.html


- http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2016/09/09/en-un-an-l-embargo-a-coute-plus-de-4-milliards-de-dollars-a-cuba_4995438_3222.html


- http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2016/09/01/premier-vol-regulier-usa-cuba-en-55-ans_4990719_3222.html


- http://country.eiu.com/cuba



  • Autres sources intéressantes sur le sujet :

-http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2016/07/20/entre-cuba-et-les-etats-unis-un-degel-encore-fragile_4972455_3222.html


-http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2016/09/09/en-un-an-l-embargo-a-coute-plus-de-4-milliards-de-dollars-a-cuba_4995438_3222.html


-http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2016/09/01/premier-vol-regulier-usa-cuba-en-55-ans_4990719_3222.html


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