Conakry capitale mondiale du livre 2017 : de la culture au développement
Le 14 septembre 2016 s’est tenue au CERDI une conférence sur le thème de la culture comme facteur essentiel de développement, et plus particulièrement dans le cas de la République de Guinée. En effet, à partir du 23 avril et durant une année, Conakry sera la capitale mondiale du livre 2017.
La capitale du livre, qu’est-ce que c’est ?
Créée en 2001 par l’UNESCO, la première capitale du livre fut Madrid. Au vu du succès de cette initiative, il a été décidé de mettre en place une élection annuelle d'une ville comme « Capitale mondiale du livre ». Ainsi, l'Union internationale des éditeurs (IPA-UIE), la Fédération internationale des associations et institutions de bibliothécaires (IFLA) et la Fédération internationale des libraires (IBF) se sont associés à cette initiative et participent avec l’UNESCO au Comité de sélection.
De nombreux critères entrent en compte dans cette élection : une liste d'activités originales qui sont proposées, un budget des dépenses prévues et les sources de financement possibles, l'implication des autorités pour mener à bien le bon déroulement de l'événement et la collaboration avec des auteurs, éditeurs, libraires et bibliothécaires du pays.
Le but recherché en élisant une ville pour être la capitale du livre pendant une année, est de mettre la culture du pays à l’honneur. Mais qu’entend-t-on lorsque l’on parle de culture ? On peut considérer une approche en termes de patrimoine culturel, avec toutes les formes d’art que cela comprend : littérature, musique, monuments… Ce même patrimoine contribue à créer une culture propre à chaque pays en instaurant un ensemble de traditions communes, normes et comportements propres à une société, qui conditionnent les actions des individus.
Quelles implications pour un pays tel que la Guinée ?
C’est une grande victoire pour ce pays en développement (bien que ce ne soit pas le premier à accueillir cet événement : New Delhi, Bogota, Bangkok… Ont déjà été capitales du livre) et ce d’abord à court terme car cela devrait attirer pas moins de 500.000 visiteurs en Guinée au cours de l’année. Cela permettrait d’augmenter la visibilité internationale des auteurs guinéens, d’affirmer l’identité guinéenne au travers de sa littérature, mais aussi de populariser la littérature africaine dans son ensemble. A l’heure où la mondialisation est associée à l’homogénéisation culturelle, « Conakry capitale mondiale du livre 2017 » permet donc de mettre en lumière la diversité et la richesse culturelle d’un continent trop souvent réduit à ses richesses naturelles.
Cependant, il serait réducteur de penser que les retombées de cet événement concernent uniquement les écrivains, car les enjeux dépassent la simple promotion de la littérature guinéenne et sont bien ancrés dans l’objectif de favoriser la démocratie au travers de l’éducation.
D’abord, le fait que la Guinée-Conakry soit la capitale mondiale du livre marque une avancée dans la démocratisation de la lecture, dans un pays où le taux d’alphabétisation des jeunes de 15-24 ans est aux alentours de 30% seulement (source : UNICEF). Dans un pays où la langue française n’est parlée que par 15 à 25% de la population, rendre un accès plus facile aux livres aurait un impact positif sur l’apprentissage du français : en effet, en Guinée les langues principalement parlées sont le peul (langue parlée à la maison par 34% des guinéens en 2012), le malinké (24%) et le soussou (23%).
De plus, le lien entre éducation et démocratie n’est plus à prouver aujourd’hui (« Education et démocratie » [p14-16], Catherine Panassier et Valérie Pugin). Des citoyens éduqués favorisent la pérennité d’une démocratie notamment dans un pays en développement, avant tout grâce à l’implication d’une part plus importante de la population dans la vie politique. Mais la démocratisation de la lecture permet aussi aux écrivains de rendre accessible au grand public une analyse critique de la société, et ainsi favorise le débat.
Quels sont les moyens mis en œuvre pour accueillir cet événement ?
Le succès de cette entreprise repose beaucoup sur l’investissement de l’Etat en termes de moyens financiers, mais aussi de suivi. En effet, bien que les préparatifs de cet événement majeur soient coordonnés et dirigés par Sansy Kaba Diakite [directeur de la maison d'édition l'Harmattan Guinée et président de Guinée culture], le secteur privé ne peut se substituer à l’Etat qui a pour mission de créer un cadre pour proposer des projets d’éducation à long terme.
Le pays a donc pour objectif de développer les infrastructures comme les médiathèques afin de démocratiser la lecture, et plus largement la culture.
Barro (1990) souligne l’importance des infrastructures publiques dans le développement : dans les pays en développement, la productivité marginale de celles-ci est très importante car ces infrastructures sont globalement plus rares que dans les pays développés. Les gouvernements ont donc tout intérêt à les développer.
Afin de donner envie aux enfants de lire et d’acheter des livres, dans un pays où les ressources des ménages ne permettent pas toujours d’accorder un budget conséquent à la culture, apporter un accès gratuit et de grande ampleur à la culture est un réel défi. C’est d’autant plus vrai pour des pays dont les gouvernements disposent de ressources limitées : une des solutions trouvées dans les librairies est de diminuer le prix du livre, parfois jusqu’à 80%.
Plus d’accès à l’éducation permet-il effectivement plus de développement ?
On entend ici l’éducation comme l’accès à la culture. Cela passe donc par la lecture, mais aussi la sensibilisation des enfants aux autres formes d’art, et donc au développement de leur capital culturel. L’éducation permet donc de développer le capital humain des individus, qui est une source directe de développement à long terme. Le capital humain regroupe les différentes compétences, savoir-être et savoir-faire qu’un individu assimile au cours de sa vie.
Le modèle de Lucas (1988) souligne le rôle du capital humain dans le processus de croissance. En effet, l’amélioration de la productivité s’explique par l’accumulation du capital humain, et celle-ci est d’autant plus grande que les agents consacrent du temps à s’éduquer. Cela profite non seulement à l’individu qui s’éduque, mais aussi au reste de la société, via les externalités positives. A l’équilibre de long terme, ce modèle prévoit que le taux de croissance dépend de l’efficacité du secteur éducatif.
Finalement, l’objectif de « Guinée-Conakry, capitale mondiale du livre 2017 » est avant tout celui de rendre la lecture accessible à tous, notamment aux plus jeunes, en les rendant acteurs de leur développement.