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Développement & Cliométrie (et plus si affinités) aux 40 ans du CERDI


Zio Ziegler à Las Vegas, San Francisco, CA

(source : www.unurth.com)

Animateur : Jean-Louis Combes, CERDI-UdA

  • Claude Diebolt, Directeur de recherche, BETA

  • Gaël Giraud, Economiste en chef, AFD

  • Ngueto Tiraina Yambaye, Administrateur en charge du groupe africain II, FMI


 

Ce post propose un résumé approfondi de l’intervention de Claude Diebolt lors des 40 ans du CERDI, où se sont déroulées un ensemble de tables rondes le jeudi 29 et vendredi 30 septembre 2016. Sur la base des explications données lors de la conférence, nous avons tenté d’apporter quelques précisions sur certains éléments. Nous avons également intégré des liens internet afin d’approfondir le sujet. Il est à noter que notre capacité de prise de notes étant loin d’être parfaite, ce résumé est loin d’être exhaustif.


La première table ronde organisée lors des 40 ans du CERDI s’intitulait « Les tendances longues du développement économique » et Claude Diebolt en était le premier intervenant.


L’actuel axe de recherche de Claude Diebolt se penche sur le lien entre développement économique de long terme et relations homme-femme. En effet, comme il le souligne, les statistiques que nous utilisons pour analyser le passé sont très majoritairement « masculines », puisque les femmes en sont régulièrement omises. Néanmoins, à la différence de la croissance économique passée, toute autant masculine que les statistiques utilisées pour la mesurer, la croissance d’aujourd’hui (et de demain) est (et sera) avant tout « féminine »1. Ces questions sur les relations homme-femme, sur l’évolution de la place et du rôle des femmes en particulier, représentent d’après lui un axe de recherche porteur.


Ses travaux font appel à la cliométrie. Son intervention affichait comme objectif d’en dresser les origines et les contours.


Tout d’abord, comme il l’a expliqué en introduction en citant Paul Valéry, la cliométrie fait partie de ces concepts « qui chantent plus qu’il ne parlent ». De façon synthétique, Claude Diebolt propose de définir cette approche comme un croisement entre l’économie, l’histoire et les statistiques dans le but d’expliquer et comprendre les mécanismes et déterminants sous-jacents au processus de développement. On parle aussi de nouvelle histoire économique (new economic history), mais ce nom nous semble trompeur puisque, comme on le verra plus bas, il serait plus juste de parler de nouvelle « économie historique ».


La méthodologie de la cliométrie est double. D’un côté, elle cherche à décrire des faits historiques et montrer leur singularité grâce un travail de reconstitution de l’histoire, un travail d’archive, de construction et reconstitution de bases de données. Ce dernier point étant également une tâche importante de l’économie du développement, puisque les données disponibles pour les pays en développement restent encore très incomplètes. De l’autre côté, est adoptée une approche de modélisation avec l’utilisation des outils d’analyse économique comme l’étude macro-économétrique de séries temporelles, la construction de jeux stratégiques grâce à la théorie des jeux etc. A cette méthodologie duale, rappelle Claude Diebolt, doit être associée une méthode contre-factuelle, c’est-à-dire la nécessité de se demander a priori : « Que ce serait-il passé si… ? »


Comme toute démarche scientifique relative à l’étude de l’histoire, cela suppose une réflexion sur le temps. Claude Diebolt reprend lors de son intervention la typologie ternaire de Fernand Braudel (sans le nommer directement néanmoins) :


- Tout d’abord, il existe un temps court qui correspond à l’histoire « traditionnelle attentive au temps bref, à l’individu, à l’évènement », où le passé est raconté à travers les grands hommes, les grandes batailles etc. Cette histoire semble si instantanée au regard du temps long qu’elle en est presque hors du temps.


- Ensuite, il y a le temps intermédiaire, la moyenne durée, qui correspond plus ou moins au temps vécu par un Homme dans sa vie, c’est-à-dire un temps qui se compte en décennies. Cette durée correspond à un ou plusieurs stades de ces oscillations cycliques que cherche à mettre en évidence « la nouvelle histoire économique et sociale » de Fernand Braudel.


- Enfin, il y a le temps long où s’étire l’histoire de (très) longue durée et dans laquelle les oscillations cycliques s’enchainent au-delà d’une vie d’homme, et même d’une génération. Ce concept de "durée" se rapproche de celui de "structure" mis en avant par Claude Lévi-Strauss (même si leurs approches diffèrent sur bien d’autres points). L’amplitude de ce temps long est telle que les structures qui s’y meuvent nous semblent immobiles ou du moins sensibles à des changements extrêmement lents. On s’intéresse ici à un temps spatio-temporel qui permet de rendre compte des changements de civilisations. Le temps long est l’objet d’étude principal de cette nouvelle histoire économique et sociale 2.



Bien que Claude Diebolt reprenne ici l’approche de Braudel pour classifier les différentes formes prises par le temps, il semble important de bien souligner la distinction qu’il existe entre la « nouvelle histoire économique et sociale » et la « nouvelle histoire économique » (new economic history). En effet, la première a été développée à ses origines en France par des historiens-géographes3 comme Fernand Braudel ou Ernest Labrousse, qui s’intéressaient à la vie quotidienne et l’histoire des mentalités. La seconde au contraire est née aux États-Unis de travaux d’économistes et s’intéresse, principalement, aux facteurs du développement économique.


Les premiers travaux de cliométrie ont été publiés dans la période suivant la seconde guerre mondiale. Il faut rattacher ces débuts au développement antérieur de la comptabilité nationale et des travaux de Simon Kuznets sur les cycles économiques4. Les thèmes abordés restent alors très centrés sur les États-Unis, comme le montre les travaux pionniers de Robert Fogel sur l’esclavage comme institution économique rentable ou encore l’impact des chemins de fer sur la croissance économique aux États-Unis. Depuis, la new economic history, ou cliométrie donc, n’a cessé de se développer participant au renouvellement plus général de l’économie empirique, grâce à la fois à des facteurs du côté de l’offre5 (nouvelles méthodes macro-économétriques, « révolution des données » etc.) et de la demande (nouveaux financements, mais aussi peut-être suite à l’impasse théorique des recherches sur l’équilibre général commencées par Arrow et Debreu). Parallèlement, on observe également en histoire un retour de l’histoire économique (citons par exemple les travaux autour de la thèse de la « Grande Divergence »). Il serait intéressant d’étudier le processus d’assimilation opéré dans chacune des deux disciplines suite à ces évolutions simultanées et la forme prise par ces « nouveaux terrains de discussion » nés de ces hybridations.


Comme le rappelle Claude Diebolt, l’attribution en 1993 du « prix Nobel »6 à Douglass North et Robert Fogel pour leurs travaux fondateurs a clairement montré combien cette approche, à la frontière de l’économie et de l’histoire, a gagné en légitimité au sein de la recherche scientifique. Par ailleurs, le succès actuel des travaux de Daron Acemoglu et al. sur l’impact économique des institutions sur le développement, en plus de confirmer ce constat, montre combien que cliométrie et économie du développement sont aujourd’hui intimement liées. L’approfondissement de ce rapprochement est également souhaité par Peter Temin qui appelle à davantage d'interactions entre l’histoire économique ("economic history") et l’économie du développement (« economic development »7). D’après lui, les deux traitent du même sujet mais à partir de populations différentes. Alors que la première étudie les économies à hauts salaires, la seconde s’intéresse à celles à bas salaires. Cette thèse nous semble néanmoins contestable, les travaux de Kenneth Pomeranz sur la Chine peuvent servir ici de contre-exemple.


Quoiqu’il en soit, cette convergence de l’histoire économique et de ce que l’on pourrait appeler « l’économie historique », à travers la cliométrie, a permis d’ouvrir de nouvelles perspectives de recherches passionnantes. De plus, elle nous permet d’aborder des problèmes contemporains (Claude Diebolt cite par exemple la question de l’évolution de la démographie mondiale ou encore les débats sur la stagnation séculaire) avec un regard à la fois plus ample et plus profond sur les faits observés.


  • Ressources sur la cliométrie

- Cliometrica (dont Claude Diebolt en est le fondateur et rédacteur en chef)

- Handbook of Cliometrics ( dont Claude Diebolt en est l’éditeur en chef)

- La page Wikipédia sur la Cliométrie (en français, bien que celle en anglais semble légèrement plus complète).

- Le site de Peter Turchin dont nous avons parlé dans cet article.


 


1. Par exemple les évolutions (récentes si l’on adopte un regard de longue durée) en terme d’accès à l’éducation, au droit de vote ou encore à un travail retenu dans la comptabilité nationale.

2. Dont l’histoire globale (global history) en est l’une des héritières par exemple.

3. La revue des Annales servie de vecteur de diffusion à cette nouvelle approche de l’histoire.

4. Voir notre post sur la dynamique des inégalités.

5. On reprend ici la distinction établie par Béatrice Cherrier dans son article partagé supra sur le développement de l’économie empirique.

6. Plus précisément le « prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel ».

7. Il semble vouloir parler de l’économie du développement, autrement dit development economics.

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