Réfugiés et microcrédit
Ondine étudie à l'École Normale Supérieure (ENS) de Cachan. Elle a rédigé ce texte à l'occasion de l'édition 2016 du concours "La parole aux étudiants" organisé par le Cercle des économistes, sur le thème "Dans un monde de turbulences, qu'attendez-vous de la France ?"
La crise migratoire est une des turbulences majeures à laquelle doit faire face la France. Pour y remédier la mise en place des politiques économiques innovantes apparaît nécessaire. L'une des solutions potentielles est d'offrir des microcrédits aux réfugiés. Cet article s'attache à montrer que ce type de financement favorise l'intégration économique et sociale des réfugiés.
«Je crois à un monde sans pauvreté »
Muhammad Yunus
A Idomeni, village situé à la frontière de la Macédoine et de la Grèce, on ne peut être qu'admiratif en observant l'extraordinaire volonté manifestée par les migrants. Dans un environnement effroyablement hostile, ils parviennent, avec leur peu de moyens, à organiser des espaces d'échanges de biens mais aussi de services puisque le camp accueille désormais une vingtaine d'échoppes qui dispensent des services de coiffure, de barbier, de cordonnerie, de couture, etc. Chacun prouvant ainsi sa singulière capacité à organiser sa propre cellule économique. C'est cette extraordinaire volonté d'entreprendre, manifestée chaque jour à Idomeni et ailleurs qui, une fois les réfugiés installés dans leur pays d'accueil, mériterait d'être soutenue et valorisée que nous proposons de soutenir par des initiatives telles que le microcrédit.
La crise migratoire à laquelle est confrontée l'Europe est la conséquence de turbulences qui ont lieu dans certains pays d'Afrique et d'Asie (principalement la Syrie, l'Erythrée, l'Irak et l'Afghanistan) dont les conflits et les conditions économiques contraignent les habitants à s'exiler. Les pays proches de leur pays d'origine sont les destinations premières de ces migrants et seule une minorité d'entre eux se dirige vers des pays plus éloignés. Cependant, le volume de cette minorité augmente depuis plusieurs années et en 2015 plus de 1,2 million de demandes d'asile ont été déposées en Europe (le nombre a doublé par rapport à 2014) selon un communiqué de l'Agence Européenne des statistiques (Eurostat) paru le 4 mars 2016. En juin 2015, d'après l'Eurobaromètre la majorité des européens considère que la question migratoire est le plus grand défi auquel doit faire face l'Union Européenne. Les données Eurostat, établies sur l’année 2014, montrent que 45 % des demandeurs obtiennent un statut de réfugié dans l’Union lors de leur demande initiale, contre un taux deux fois moins élevé en France (22 %). Les migrants vivent dans des conditions déplorables et dangereuses lorsqu'ils ne sont pas logés comme l'illustre l'exemple bien connu de la jungle de Calais, à présent partiellement démantelée. Les témoignages des «habitants» de ces lieux de transit prouvent que ces migrants espèrent trouver un travail. C’est pour cela qu’ils souhaitent accéder aux pays scandinaves, à l’Angleterre ou encore à l’Allemagne, car ces pays offrent des perspectives d’emploi. La France est une destination d’asile moins demandée du fait de son taux de chômage élevé (10% de la population active au quatrième trimestre 2015 selon l’INSEE) et du faible taux d'acceptation de demandes d'asile mais demeure une terre de passage vers d'autres pays plus attractifs. En Grèce, depuis le début de l'année, plus de 131 000 migrants sont arrivés par la Méditerranée selon le Haut Commissariat aux Réfugiés. Les pays européens vont devoir mettre en place une politique commune afin de se répartir les flux de réfugiés comme le rappelle l'ancienne commissaire européenne Emma Bonino dans une tribune parue en septembre 2014 dans le journal Libération : «La seule issue possible pour l’Europe consiste à abandonner le système des sphères d’influence, et à préserver le principe du partage des responsabilités. » Il faudra par la suite favoriser l’intégration de ces nouveaux arrivants d'où la nécessité de trouver une politique d'accueil adéquate. Une solution potentielle serait d'encourager les migrants à contracter des microcrédits (prêt de faibles montants à des entrepreneurs ou des particuliers qui n'ont pas accès au crédit bancaire du fait de contreparties insuffisantes) pour développer des projets entrepreunarials. La micro-finance et en particulier le microcrédit sont des outils de politique économique fréquemment utilisés dans les pays en développement depuis les années 1970. En 2006 le professeur bangladais Muhammad Yunus a obtenu le prix Nobel de la paix pour avoir théorisé le concept de microcrédit et fondé, au Pakistan, la Grameen Bank qui comptait plus de 8 millions d'emprunteurs en 2011 dont 97% de femmes. Ce mécanisme financier qui a fait ses preuves dans les pays dits en voie de développement a été adapté en France. L'Adie (Association pour le droit à l'initiative économique) reste la plus ancienne des organisations françaises qui proposent des microcrédits. Celle-ci qui a été créée en 1989 par Maria Nowak, est reconnue d'utilité publique. Elle a pour objectif d'aider les personnes exclues du marché du travail et du système bancaire pour créer leurs propres entreprises et emplois. Depuis sa fondation l'Adie a permis de créer plus de 110 000 entreprises et de réinsérer professionnellement 84% des micro-entrepreneurs en proposant à ces derniers un accompagnement personnel de longue durée, d'ailleurs 44% de son public vit en dessous du seuil de pauvreté. De nombreuses associations qui s'inspirent de ce principe ont depuis émergé et offrent des programmes de microcrédit variés. Le microcrédit pourrait constituer une solution innovante dans les pays d'accueil des réfugiés afin de favoriser leur intégration à la fois économique et sociale. Cette proposition présente de nombreux avantages, sa réussite est cependant conditionnée à un ensemble de paramètres.
Le microcrédit pour les réfugiés : facteur d'intégration économique et sociale
Un point crucial concerne la cible de cette politique économique. Il faut en effet distinguer les demandeurs d'asile et les réfugiés. Les premiers sont ceux qui demandent à obtenir une admission sur le territoire d'un état en qualité de réfugié et attendent que les autorités compétentes (en France : l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, dit OFPRA) statuent sur cette requête, ils ont accès à la couverture médicale universelle et à l'allocation de demande d'asile dont le montant quotidien est de 6,80 € par personne. Tandis que les réfugiés sont ceux qui «craignant avec raison d'être persécutés (...) se trouvent hors du pays dont ils ont la nationalité». Ce statut est défini par l'article 1 de la Convention de Genève et donne droit à la protection du pays qui l'accorde. Les réfugiés obtiennent une carte de résident de 10 ans et bénéficient à ce titre des mêmes droits que les citoyens français ou les étrangers vivant en situation régulière en France. La création d'une entreprise nécessitant de rester une période relativement longue dans un pays, il parait vraisemblable que dans un premier temps les bénéficiaires des microcrédits soient les réfugiés. Les projets financés devront être des projets d'entreprise détaillés ce qui nécessitera un accompagnement qui pourra être mis en place par des bénévoles ou des membres de l'organisation qui offrira les microcrédits. Pour cela il sera utile de développer une coopération entre les associations qui s'occupent de l'insertion des réfugiés (il en existe plusieurs dizaines en France) et une organisation qui offre des microcrédits. Le principal argument pour justifier le refus d'accueillir les réfugiés est qu'ils représentent un coût élevé pour les sociétés européennes qui sont déjà confrontées à d'autres difficultés économiques comme un fort chômage structurel et des dépenses publiques trop élevées pour respecter les contraintes de l'Union Européenne. Les réfugiés français bénéficient d'aides financières au même titre que les français s'ils ne travaillent pas ce qui signifie qu'ils peuvent toucher le RSA. Le fait de leur accorder des microcrédits s'ils le souhaitent permettra de les rendre plus autonomes et surtout de favoriser leur intégration, car le travail est un mode de socialisation. Cela contribuera à déconstruire des présupposés concernant l'assistanat qui alimentent des débats récurrents mais aussi de réduire le coût de leur accueil (qui est à relativiser car 20 000 réfugiés ont été accueillis en France depuis 2011 selon l'OFPRA). Les réfugiés font face à une forte discrimination à l'embauche en tant que migrants, comme le montre une étude de l'INSEE parue en 2009 et intitulée "Langue, diplômes : des enjeux pour l'accès des immigrés au marché du travail" : « Les immigrés sont plus exposés au chômage que le reste de la population, les femmes immigrées étant en outre moins souvent présentes sur le marché du travail. Ceci est en partie dû à un manque de qualifications. Toutefois, des écarts subsistent à niveau de diplôme équivalent [...]. Les qualifications des immigrés, lorsqu'elles existent, bénéficient rarement d'une reconnaissance formelle en France [...]. Les immigrés éprouvent souvent des difficultés avec la langue française, même si cela ne constitue pas forcément une gêne pour travailler. » L'histoire des faits économiques a montré que les économies européennes sont capables d'absorber des flux migratoires (à l'exemple des flux massifs d'Algériens arrivés en France au cours des années 60) mais les discriminations à l'embauche constituent des obstacles à l'intégration des réfugiés. Le microcrédit contribuera à lutter contre cette discrimination car les réfugiés qui en contracteront deviendront des micro-entrepreneurs. Pour les réfugiés les plus qualifiés, le fait de leur accorder des microcrédits permettra d'éviter la destruction de leurs compétences en les valorisant. En effet, le chômage détruit à long terme du capital humain car les travailleurs qui sont au chômage perdent l’opportunité de maintenir et d’actualiser leurs compétences en travaillant. D'autant plus que certains savoirs faire pourront être transmis aux français et que cela créera potentiellement une nouvelle offre de biens et de services, ce qui participera au dynamisme de l'activité économique au niveau local. On pourrait aller jusqu'à proposer aux réfugiés des conditions plus avantageuses (crédits, logements...) s'ils acceptent en contrepartie de vivre dans des villes qui ont une faible densité de population, dans le cadre d'une politique d'aménagement du territoire afin d'éviter une trop forte concentration urbaine. Les microcrédits accordés aux réfugiés rendront possible la création de petites entreprises, ce qui augmentera leurs revenus. Ainsi, les réfugiés pourront accroître leur demande de biens et de services , d'autant plus que la propension marginale à consommer des réfugiés est élevée car ils s'installent dans un nouveau pays et vont donc acheter des biens de consommation durable. Les réfugiés micro-entrepreneurs qui réussiront à créer une entreprise pérenne demanderont du travail lorsqu'ils auront besoin d'augmenter leur volume de production ce qui créera de l'emploi et contribuera à réduire le chômage localement. La mise en œuvre de cette proposition rencontre des obstacles mais ils ne sont pas insurmontables.
Les conditions de réussite
Tout d'abord, les microcrédits devront être demandés par les réfugiés qui seront actifs dans le processus. Il ne sera pas obligatoire d'en contracter mais le fait de développer de nouveaux projets pourra probablement leur permettre de se reconstruire (en particulier pour ceux qui ont subi des traumatismes dans leur pays d'origine) et si ces projets réussissent ils seront vecteurs d'autonomie. Le temps de séjour dans le pays d'accueil peut constituer un obstacle à l'accord de microcrédits aux réfugiés mais leur permis de séjour est valable 10 ans et il leur suffira de contracter des prêts pouvant être à minima intégralement couverts durant la durée du séjour. La barrière de la langue constitue un obstacle à l'intégration et un facteur d'isolement. Mais cette barrière est surmontable, pour cela le gouvernement pourra mettre en place un système de contrepartie comme en Suède où les réfugiés doivent prendre des cours de langue intensifs en échange des aides sociales.
Si le microcrédit est un outil de politique économique pertinent, il y a eu de nombreuses dérives du fait notamment de banques commerciales qui imposaient des taux de remboursement excessifs, allant parfois jusqu'à 100% de la somme prêtée. Les dévoiements de la micro-finance dans les pays en développement sont la conséquence d'un manque d'institutions publiques ou reconnues d'utilité publique pour fournir des microcrédits. Un préalable sera que l'offre de microcrédits soit encadrée, et que les organisations offreuses de microcrédits soient associées à des organisations qui s'occupent déjà des réfugiés afin de favoriser la communication et le bon fonctionnement de ce projet. Il existe un risque d'échec concernant le microcrédit car les projets n'aboutissent pas toujours, c'est pour cette raison que l'Etat devra être un acteur principal pour garantir l'offre de microcrédits qui peut ne pas être rentable à court terme. Cependant, dans le cas d'associations comme l'Adie les défauts sont largement compensés par les gains, le suivi personnalisé et fréquent permet d'éviter un grand nombre d'échecs.
Les expériences aléatoires (prendre deux populations les plus similaires possibles et choisir au hasard les individus auxquels on offre des microcrédit puis comparer les évolutions entre ceux qui ont bénéficié du microcrédit et ce qui n'y ont pas eu accès) peuvent représenter un moyen empirique pour évaluer l'efficacité du microcrédit sur l'intégration des réfugiés. Toutefois de telles évaluations empiriques peuvent poser des problèmes éthiques dans la mesure où il est injuste d'empêcher l'accès à une ressource à certains individus, d'autant plus que les effets d'une telle expérience ne se feront pas sentir immédiatement et qu'il est primordial de favoriser rapidement l'insertion des réfugiés au risque d'aggraver la crise humanitaire.
En conclusion, pour faire face à la crise migratoire, la mise en place d'une politique migratoire en France, dont l'objectif ne doit pas être d'instrumentaliser les mouvements de population mais véritablement de concourir à une meilleure insertion des réfugiés, est nécessaire. Puisque la France est le pays européen dans lequel le microcrédit est le plus développé, la politique migratoire pourra s'appuyer sur cet outil de politique économique. Comme l'a affirmé Angel Gurría le secrétaire général de l'OCDE : « [...] les dirigeants ne doivent pas avoir peur. La peur, c’est la pire des réactions. En ce moment, c’est une tragédie humaine mais ensuite, ça va être un défi d’intégration sociale et économique. Il ne faut pas y voir une dépense mais un investissement. Dès qu’on adopte ce point de vue, toutes les perspectives changent. » Si le microcrédit permet effectivement de favoriser l'intégration des réfugiés et que cela est bénéfique à l'ensemble de la société française, une telle mesure pourra être généralisée à d'autres économies afin d'organiser une politique d'asile commune aux pays membres de l'Union Européenne.
La réussite de cette politique d'accueil et d'intégration des réfugiés fait face à d'autres obstacles notamment la durée des procédures d'obtention de demande d'asile qu'il est primordial de réduire, en France ce délai est de 2 ans en moyenne.