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Stratégies d'Etats, sponsoring et football : Tchad (1/3)

Le 27 août dernier, alors que le Stade Saint-Symphorien se préparait pour l'opposition entre le FC Metz et le SCO d'Angers, les supporters présents ont eut la chance d'assister à une représentation « surprise » du groupe Magic System. S'il est évident qu'il n'est pas nécessaire d'avoir une raison particulière pour zouker un coup, la venue des Magiciens d'Abidjan n'était pas non plus injustifiée. Ceux-ci venaient pour marquer la signature au même moment d'un nouveau contrat de sponsoring pour le club de Meurthe-et-Moselle qui verra pour les 3 prochaines années son maillot floqué du slogan « Tchad, Oasis du Sahel », premier partenariat direct d'un club français avec un pays africain. A la vue de ce contrat, de nombreuses voix pensant à une action de l’État Tchadien se sont alors élevées, dénonçant un investissement paraissant peu pertinent alors même que le pays traverse une situation économique et sociale plus que difficile. Il a finalement été affirmé qu'aucun transfert public n'avait été réalisé et que c'était un groupe médiatique panafricain qui avait réglé la totalité de la somme due. Nous reviendrons un peu plus précisément sur cette affaire, toujours est-il que cela m'a amené à me questionner sur les tenants de ce type de partenariats impliquant plus ou moins directement des pays non-développés*– mais pouvant avoir une situation très différente du Tchad – et des clubs de football européens.


 

* Ce terme faussement réducteur sera ici utilisé dans une optique de simplification pour désigner des pays à moyens ou bas revenus

 

Depuis de nombreuses années, l'importance de la publicité dans le football n'a fait qu'augmenter : les besoins financiers des clubs étant toujours plus importants avec la croissance des prix et salaires des joueurs et dans le même temps la visibilité énorme du secteur permettant l'attraction permanente de sociétés désireuses de se faire voir. Il est cependant plus rare que ce marketing sportif soit utilisé par un Etat, mais c'est un processus en pleine expansion depuis une dizaine d'années et c'est ce que nous allons analyser ici. Tout d'abord, il s'agit de pays n'appartenant pas au bloc des pays développés, mais nous allons voir que cela n'empêche pas des disparités importantes entre eux selon les situations (nous verrons précisément trois cas ici). Ensuite, en ce qui concerne le type de contrat cela peut aussi largement varier : du simple contrat de sponsoring à la prise de contrôle totale du club dans certains cas, les enjeux ne sont évidemment pas les mêmes. Aussi, l'implication de l'Etat n'est pas forcément directe comment nous avons commencé à l'évoquer pour le Tchad et le FC Metz, mais celui-ci est forcément présent, nous verrons parfois assez insidieusement. Ses motivations sont souvent multiples : économiques, mais aussi et surtout géopolitiques, de par la médiatisation extraordinaire du football, s'afficher sur la tunique d'une grande écurie européenne assure une visibilité forte même si ce n'est que pour faire connaître le nom du pays. C'est précisément cet objectif qui est visé, il faut se « faire voir », en espérant des retombées positives en terme de « Soft Power ». Cette volonté peut être liée à une image initiale négative du pays à l'international, de par ses activités économiques ou sa situation politique et sociale, le sponsoring est alors vu comme un moyen d'évoquer le pays par un autre aspect plus joyeux et en apparence innocent : le football. En ce qui concerne les clubs de football, leurs motivations sont logiquement purement financières, comme nous avions commencé à l'expliquer ceux-ci sont simplement à la recherche du partenariat le plus rentable.


Après cette rapide présentation de notre sujet d'étude, les nombreux enjeux qu'il implique sont criants, à la fois pour les pays impliqués mais aussi, nous le verrons, pour le rôle à avoir des grandes institutions du football et des clubs de football majeurs. Nous porterons particulièrement notre attention sur 3 cas très différents les uns des autres, nous permettant ainsi d'étudier cette problématique sous plusieurs aspects : celui du Tchad avec le FC Metz, celui de l'Azerbaïdjan avec le RC Lens et l'Atlético Madrid et celui du Qatar avec le Paris Saint-Germain et le FC Barcelone. L'analyse simultanée du Tchad et du Qatar peut étonner de par le gouffre qui sépare les deux pays, mais l'objectif pour nous est la prise en compte de pays très différents afin de dresser un tableau global de ce phénomène, avec ses objectifs, ses conséquences et ses risques.




Le Tchad : une publicité pionnière pour un pays peu développé



Pour le 4ème pays le moins développé au monde - selon un rapport de 2012 du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), signer un contrat de sponsoring avec un club de football peut évidemment paraître étonnant. Nous allons ici expliquer précisément les raisons du partenariat avec le club Grenat et celles de la polémique qui a suivi sa signature, puis nous analyserons ensuite les retombées espérées en terme de développement pour le pays d'Afrique Centrale, ainsi que les doutes qu'il est possible d'y émettre.


Pour commencer, comment le FC Metz, remonté en Ligue 1 cette année, en est-il venu à prendre comme sponsor le Tchad, premier partenaire africain direct d'un club français ? La connexion est réalisée par l'ancien joueur Béninois du club, Christian Lagnidé, devenu dirigeant du fameux groupe médiatique LC2, parti prenante et « payeur » du contrat. Il est aussi possible que la tradition africaine du club ait joué, puisqu'il cela fait par exemple 16 ans qu'il est à la tête du centre de formation « Génération Foot » à Dakar, considéré comme un des meilleurs de la région. Le club messin verra donc affiché sur son maillot le slogan « Tchad, Oasis du Sahel » pour les 3 prochaines années, en échange d'une somme comprise entre 2 et 12 millions d'euros. Or, lors de la présentation officielle, le président du club Bernard Sérin est entouré de Mariom Betel et Baïdi Lomey, respectivement Ministre des Sports et Ministre des Mines et de la Géologie du Tchad. Il n'en faut pas plus pour que les observateurs dotés de déontologie, pensant à un investissement réalisé par l’État, s'indignent du fait de la situation économique et sociale actuelle très difficile au Tchad qui rend peu pertinent un contrat de sponsoring avec le FC Metz. Les bourses étudiantes ont notamment été suspendues, les députés ont vu leurs salaires réduits, Boko-Haram est présent dans plusieurs régions, il est évident que l'heure n'est pas à une dépense publique exceptionnelle, surtout si elle se chiffre en millions. C'est alors qu'intervient donc le groupe de Christian Lagnidé qui aurait supporté l'intégralité du coût, propos affirmé par le Béninois après que Bernard Sérin ait eut du mal à calmer la polémique, semblant lui-même peu sûr de la source précise du financement. Selon l'ancien joueur, « Le Tchad, contrairement à certaines informations tendancieuses et mensongères, n'a jamais, ô grand jamais, signé un contrat avec le FC Metz pour le financer à hauteur de 8 milliards de francs CFA. » (propos du 3 septembre devant les médias tchadiens). Tout est bien qui finit bien, un groupe médiatique panafricain dirigé par un Béninois a donc payé dans son intégralité un contrat visant au développement de la visibilité du Tchad, nous allons voir plus tard pourquoi il est possible de conserver des doutes sur le fonctionnement de ce partenariat entre ses partis prenantes africaines.


Avant cela, il est important d'exposer les objectifs de ce contrat de sponsoring, relevant ici d'une forme de « publicité d'Etat » au vu du slogan plus qu'explicite, si on exclut évidemment l'aspect de l'origine du financement. Son but est donc d'améliorer la visibilité du pays en Occident, et même si cela peut prêter à sourire compte tenue de l'échelle d'action assez réduite cette idée n'en reste pas moins censée. Pour le groupe LC2 cependant, il est plus difficile de comprendre les motivations précises qui l'ont poussé à supporter le coût du contrat, en dehors de l'affection particulière que porte sûrement son dirigeant au FC Metz. Une sorte de « solidarité de développement » a aussi pu jouer pour inciter à une dépense au bénéfice d'un pays africain en difficulté, même si cela peut très bien dans le même temps cacher des règlements « en boîte noire » à la suite de la signature. En toute objectivité, l'efficacité de ce sponsoring pour l'aspect « Soft Power » peut être remise en question rien qu'en comparant la portée du FC Metz et celle que peut avoir la présence du groupe Boko-Haram dans le pays, suffisante pour qu'il soit classé en zone rouge (fortement déconseillé) par le Ministère des Affaires Étrangères. Le club de Meurthe-et-Moselle peut lui tirer différentes choses de cette connexion, tout d'abord forcément un revenu, même si la somme exacte versée reste à ce jour floue. Des retombées footballistiques peuvent aussi être envisagées, de par l'envoi de jeunes talents Tchadiens dans le centre de formation de Dakar géré par le club. En s'intéressant à la situation du football dans le pays, on peut cependant douter de cela : la Fédération Tchadienne de Football est notamment vivement critiquée pour des manières de direction qui, in extenso, remettent en question aussi le rôle du gouvernement dans le contrat avec le FC Metz. L'attaquant de la sélection Mahamat Labbo avait ainsi affirmé dans une interview pour « JeuneAfrique » : « Une bande de copains dirige le foot tchadien et bouffe une partie des sommes destinées à notre football ». Cela faisant au suite au versement seulement partiel de la prime de 800 euros prévue pour les joueurs pour la participation aux éliminatoires de la CAN 2017. Éliminatoires pour lesquelles Les Sao ont d'ailleurs dû déclarer forfait le 27 mars. Cet état d'esprit est confirmé par l'ancien joueur Japhet N'Doram, passé par Monaco et Nantes, qui n'a pas semblé surpris et a expliqué cela par une absence de réaction politique, inaction pouvant être expliquée par une sorte d'entente entre les différents partis, tout le monde y trouvant son intérêt ? Le pays étant classé à la 154ème place (sur 175) en terme de corruption, il est évident qu'il est nécessaire de conserver des doutes quant aux agissements des classes dirigeantes dans ce secteur, mais donc aussi sur la réalisation du contrat avec le FC Metz. On peut rajouter pour finir que Christian Lagnidé est aussi présent en politique, puisqu'il était candidat pour les élections présidentielles au Bénin en 2011 et 2016. Si rien ne peut être prouvé pour le moment, les interactions multiples entre les sphères dirigeantes, médiatiques et politiques dans cette affaire rendent la méfiance inévitable en ce qui concerne de potentiels arrangements personnels, qui plus est vu le cadre que nous venons d'évoquer.


En conclusion, ce cas de partenariat tri-partite entre le Tchad, LC2 et le FC Metz est très particulier : grande première pour le sponsoring -indirect- d'un pays africain pour un club de football français, sponsoring dont le coût a été réglé par un groupe médiatique panafricain sans lien particulier avec le Tchad, à l'heure où la situation du pays sous les aspects économique, social est très difficile. Si les objectifs affichés ne sont pas extravagants (développement de la visibilité du pays), ils n'en restent pas moins à priori difficilement atteignables, ce qui pose la question de la pertinence de cette action. N'aurait-il pas mieux valu mener une action au sein même du pays ? Pourquoi pas toujours dans le cadre du football, puisque celui-ci n'a pas l'air de traverser non plus ses heures les plus glorieuses au Tchad ? Et pourquoi pas de par un investissement réalisé par le groupe LC2, puisqu'il semble être pris d'une irrésistible envie de donner ? Autant de questions qui resteront probablement sans réponse, alors que le sponsor du FC Metz étonnera sûrement plus d'un spectateur non-averti durant les 3 prochaines années. Partant probablement d'une bonne intention, ce partenariat n'en semble pas moins peu pertinent pour différentes raisons et paraît plus conforter des relations personnelles que de véritablement servir les intérêts et le développement du pays.


 

Références (Ces articles ont été consulté en décembre 2016)


http://www.sofoot.com/metz-oasis-de-moselle-289197.html


http://www.tchadinfos.com/tchad/le-tchad-devient-sponsor-officiel-du-fc-metz-pour-3-ans/


http://www.jeuneafrique.com/314236/societe/football-vraies-raisons-forfait-tchad-a-can-2017/


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