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Stratégies d'Etats, sponsoring et football : Azerbaïdjan (2/3)


Deuxième article de notre série sur les liens entre stratégies d'États étrangers et le football européen. Après un premier épisode sur le Tchad, voici l'Azerbaïdjan à travers l'homme d'affaire Hafiz Mammadov.

 

L'Azerbaïdjan : une ambition forte grâce et pour le secteur énergétique



Nous allons ici étudier une situation radicalement différente de celle du Tchad, puisqu'il s'agit de l'Azerbaïdjan, principalement à travers ses relations avec le RC Lens et l'Atlético Madrid. Pour une grande majorité d'individus, l'évocation du nom du pays ne renvoie sûrement qu'à l'idée d'une République née de l'éclatement de l'URSS, située sur la ligne de division entre l'Europe et l'Asie, nation « anonyme » en quelque sorte. Pourtant en réalité, de par ses actions dans le secteur footballistique notamment, menées à la faveur de revenus énergétiques importants, l'Azerbaïdjan est en train de s'implanter insidieusement dans les esprits. Cette stratégie va ici être analysée à travers ses multiples manifestations, objectifs et retombées.


Le 14 juin 2013, le RC Lens publie un communiqué officialisant les négociations entre le Crédit Agricole -alors actionnaire majoritaire du club- et le duo Gervais Martel-Hafiz Mammadov pour un rachat des Sang et Or. Ce duo ambitieux est né d'une rencontre dans un casino cannais où les deux hommes ont probablement pu prendre conscience de leurs intérêts communs. Le 1er souhaitant ré-accéder à la direction du club, le second désirant lui placer les fruits de sa super-entreprise Baglhan Group, spécialisée dans les hydrocarbures, les travaux publics et le transport. En dehors de cette stratégie économique, l'homme d'affaires azéri veut aussi servir l'image de son pays en choisissant comme sponsor « Azerbaïdjan, Land of Fire », après le rachat du club contre 20 millions d'euros. De la même façon que pour le Tchad, on retrouve un slogan explicitement national mais pour lequel aucun flux public n'est -officiellement- intervenu. A l'époque, Mammadov est alors proche des responsables politiques en Azerbaïdjan, on peut supposer encore une fois des règlements « en boîte noire »au vu de la proximité des sphères. Mais cette fois, le slogan n'est pas inconnu, puisqu'il est alors affiché sur le maillot de l'Atlético Madrid, club dont le businessman est aussi actionnaire, depuis le début de la même année. Un contrat de sponsoring d'une valeur de 18 millions d'euros avait effectivement été signé, puis reconduit une fois son terme atteint mais cette fois pour mettre en avant les 1ers jeux européens (compétition créée en 2012) qui se déroulaient à Bakou, la capitale, en 2013. Ville dont le club de football principal a d'ailleurs pour président Hafiz Mammadov. On commence ainsi à envisager la stratégie azérie dans sa globalité et sa multiplicité, un autre aspect étant par exemple la tentative d'attraction de grands noms du football dans le championnat national contre des salaires mirobolants, pour en faire des ambassadeurs en quelque sorte. Cette technique est bien connue pour être utilisée depuis longtemps par le Qatar, plus récemment par la Chine (les Brésiliens Hulk et Ramires, l'ancien parisien Lavezzi, le Sénégalais Demba Ba…) . En dehors de ces actions par le biais de clubs, l'Azerbaïdjan commence aussi à s'implanter par un certain lobbying dans les institutions sportives, comme nous l'avons dit pour les Jeux Européens par exemple, mais aussi et surtout par un très gros coup récemment passé inaperçu. Durant l'EURO 2016, un sponsor inconnu apparaissait au milieu des mastodontes Coca-Cola, Adidas …. SOCAR, compagnie nationale pétrolière et gazière de l'Azerbaïdjan, a réussi à obtenir un partenariat avec l'UEFA pour le championnat européen des nations, non sans s'attirer les critiques des observateurs avisés. Une association arménienne avait notamment contacté l'institution à la tête du football européen, sans succès évidemment, le partenariat servant soit disant au « développement du fair-play dans le football ». On retrouve ainsi une stratégie pluri-forme, menée à différentes échelles et au travers de différents instruments : sponsoring, rachat de club, lobbying, attraction « d'ambassadeurs »… Les premières retombées, économiques ou géo-politiques, sont difficiles à analyser de par la relative nouveauté du phénomène mais il est évident que le pays caucasien a déjà franchi un pas majeur pour s'implanter dans l'esprit des individus et diversifier l'utilisation de ses importants revenus énergétiques, en particulier avec la connexion réalisée avec l'UEFA.


En ce qui concerne la situation avec le RC Lens, nous allons ici réaliser une analyse plus détaillée du déroulement du partenariat chaotique avec l'homme d'affaire Mammadov. Ce dernier a connu des difficultés économiques avec sa société, ce qui l'a forcé à ne verser qu'1,5 million d'euros contre les 15 prévus pour la saison 2014-2015. Le club va alors être relégué sportivement, manquant de l'être aussi administrativement par l'autorité de surveillance de gestion des clubs français, la DNCG. Pourtant, 2 mois plus tôt, l'ambitieux businessman annonçait vouloir racheter Sheffield Wednesday pour 50 millions d'euros ! On peut noter l'étonnante désolidarisation de l’État azéri à son égard, certaines rumeurs parlant même d'une arrestation de Mammadov pendant qu'il était en difficulté, alors que celui-ci avait exprimé sa flamme patriotique en parant la tunique de son club du nom de son pays. Ou alors cela était-il aussi dicté par des arrangements cachés ? Toujours est-il que le RC Lens sera finalement racheté en 2016 par la société SOLFERINO, dont les principaux actionnaires ne sont autres que des membres du Conseil d'Administration de … l'Atlético Madrid, le monde est petit !


En conclusion de cette étude sur la stratégie menée par l'Azerbaïdjan dans le milieu du football européen, la situation est largement différente de celle du Tchad évoquée plus tôt. Les revenus importants issus du secteur énergétique permettent une action à un niveau beaucoup plus important, mais aussi une action diversifiée, multi-forme, ayant des vues économiques et géo-politiques. Si le cas du RC Lens peut faire penser à un échec, il n'en est en réalité pas vraiment un pour l’État azéri, puisque le déroulement chaotique des événements n'a été imputé qu'à l'ingérence du duo Martel-Mammadov, et que cela a toujours permis un sponsoring d'une équipe par « Azerbaïdjan Land of Fire », même pour une durée limitée. On peut tout de même tirer de ce cas particulier les dangers d'un partenariat où les intérêts personnels peuvent être exacerbés par une gestion trop individualisée, les chocs personnels ayant alors eux aussi une influence directe sur la situation du club. En ce qui concerne la stratégie globale, elle est pour l'instant sur la voie probablement espérée par l’État, puisque le pays s'est déjà imposé comme une nouvelle figure du sponsoring national en Europe, et a surtout réussi à rentrer dans le cercle très fermé des partenaires des grandes institutions footballistiques (ici l'UEFA), lui donnant une immunité totale sur ses actions tant que l'aspect financier est garanti. Même si cela paraît pour le moment improbable, on peut très bien imaginer l'Azerbaïdjan organiser une compétition footballistique majeure à terme, Bakou est notamment candidate comme ville d'accueil de l'EURO 2020. La stratégie semble assez proche de celle pratiquée par le Qatar – à une échelle encore inférieure -, cas que nous allons étudier en dernière partie.

 

Références


http://leplus.nouvelobs.com/contribution/890150-foot-l-azerbaidjan-investit-au-rc-lens-une-strategie-proche-de-celle-du-qatar-au-psg.html


http://www.lelanceur.fr/socar-un-sponsor-qui-en-dit-long-sur-lethique-de-leuro-2016

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