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Revue: 'Histoire du Brésil' par Armelle Enders


 

Armelle Enders est maîtresse de conférence en histoire contemporaine à l'université Paris-Sorbonne et spécialiste de l'histoire du Brésil contemporain. Cet ouvrage a été publié en août 2016 et prend donc en compte les derniers soubresauts de l'histoire politique brésilienne, avec la procédure de destitution de la présidente d'alors, Dilma Roussef. En près de 300 pages le livre nous propose une synthèse de l'histoire du pays.


En effet, la structure chronologique de l'ouvrage se forme autour de trois grandes parties.

La première, "Le Brésil avant le Brésil", regroupe la préhistoire et la période coloniale, où l'on montre que le territoire était loin d'être une terre vierge puisque des peuples indigènes, tels que les Tupis et les Guaranis par exemple, l'occupaient déjà depuis des millénaires (l'arrivée des premiers être humains sur le continent est estimée aux alentours de 12000 av. J.-C.). Stricto sensu, le mot "Brésil", pour désigner la côte où les navires européens chargent le bois du même nom, apparaît au XVI° siècle. Le "Brésil" naît donc eurocentré (p.9). L'arrivée des premiers européens (portugais, mais aussi espagnols...et français) annonce le début de la période coloniale, où des liens étroits se créent avec l'Afrique, plus particulièrement l'Angola, colonie portugaise, à travers la traite négrière et le commerce. L'auteur montre alors qu'on observe davantage un "archipel de colonies", plutôt qu'un territoire unifié sous le contrôle effectif de la couronne portugaise. Cette hétérogénéité entre les différentes zones géographiques, et leurs conflits, se retrouvera tout au long de l'histoire nationale. La deuxième partie débute sur le processus d'indépendance, proclamée en 1822, qui, bien que "naît d’un sentiment national exacerbé", trouve sa source dans le sentiment de marginalisation et d'une forme d'infériorité du Portugal au sein de l'Empire. En effet, la rupture entre les deux côtés de l'Atlantique se fait de plus en plus nettement sentir, comme l'énonce brutalement le député Fernandes Tomas en 1822 :


"Si le Brésil ne veut pas être uni au Portugal, comme il l'a toujours été, finissons-en une bonne fois pour toutes. Grand bien fasse à Monsieur Brésil, et de ce côté-ci, nous nous occuperons de nos affaires." (p.128)


Comme souvent, cette indépendance ne sonne que le commencement d'un long chemin vers une construction nationale, où les hésitations entre fédéralisme ou système centralisé autour de la capitale Rio de Janeiro, monarchie constitutionnelle ou République, mais aussi les conflits internes entre régions et tentatives de révolutions plus ou moins populaires, ou encore les conflits externes avec les autres puissances régionales (hispanophones), en représentent les nombreuses étapes et déviations.


La troisième partie, sur laquelle on va davantage se pencher, s'intéresse aux "chemins de la démocratie" et commence paradoxalement dans les années 1930 avec le choix de l'autoritarisme paternaliste de Getulio Vargas, en réaction à la crise globale et en rejet du libéralisme. Cette "Révolution de 1930" (que l'on pourrait tout aussi bien appeler "coup d'État") souligne également le poids important gagné par les militaires dans la vie politique du pays. L'omniprésence de l'État se fait également sentir au sein du système économique avec une politique industrielle volontariste et un corporatisme qui "prétend rompre à la fois avec l'individualisme de la société libérale et la lutte des classes des socialistes" (p.221). La tentative en 1954 d'une alliance entre l'opposition conservatrice, davantage favorable au duo équilibres financiers-entreprise privée, et l'armée de renverser le pouvoir en place, qu'ils accusent de dériver trop vers le socialisme, est paradoxalement empêchée par le suicide de Getulio Vargas. En effet, comme le veut la Constitution, le vice-président reprend les reines du pouvoir et les dix années qui suivent s'inscrivent dans la tradition du getulisme, dans un esprit plus 'social'. On parle alors de "national-développementalisme". Néanmoins, l'instabilité socio-économique et politique reste omniprésente et un nouveau putch est orcherstré en 1964 par les militaires qui décident de conserver le pouvoir. S'intalle alors une dictature militaire qui durera jusqu'en 1985. C'est en effet encore une fois l'instabilité économique et la pression politique (de la population et l'opposition, dont font partie les syndicats issus de la période getuliste) qui mettront fin à un pouvoir politique. La transition, si elle est source de soulagement pour ne pas se terminer une nouvelle fois en guerre civile, est également perçue avec une certaine frustration par beaucoup, puisque les élections qui suivent donnent les conservateurs vainqueurs, alors que leur remise en cause de la dictature était loin d'être évidente avant l'évidence de son crépuscule.


Néanmoins, l'arrivée au pouvoir en 2003 de Lula, du Parti des Travailleurs (PT), après la stabilisation économique permise par le plan Real de Cardozo en 1992, représente bien un bouleversement dans l'histoire politique du pays. Fruit d'une transformation interne du parti d'extrême gauche sur l'échiquier politique (certains diront par pragmatisme, d'autres par édulcoration abusive des principes idéologiques du parti), ce long cycle politique représente ce qu'on a appelé le "miracle brésilien". Cependant, comme tous les précédents "miracles" (mexicain, asiatiques etc.), le cycle a fini par se retourner suite à une conjoncture économique mondiale beaucoup moins avantageuse (baisse de la demande globale et des prix des matières premières comme le pétrole). Un nouvelle épisode d'instabilité politique a alors vu le jour, avec la destitution en 2016 de la présidente Dilma Roussef (PT) engluée dans un environnement moribond où ont éclaté divers scandales de corruption et clientélisme frappant l'ensemble des partis. Par ailleurs, la période de forte croissance économique des années 2000, bien que son effet réel sur le développement socio-économique soit contesté par certains, a profondément fait évoluer l'électorat du parti. Ainsi, la part de la population ayant profité de ces années fastes ne se sent aujourd'hui plus forcément représentée par des discours de lutte contre la pauvreté. De plus, Lula a davantage joué avec la structure en place qu'il ne l'a remis en cause (par souci de légitimité et crédibilité principalement). Ainsi, les tensions sociales persistantes montrent que l'idée d'un "Brésil métis" unifié et harmonieux n'est encore qu'une illusion. En effet, bien que des efforts aient été accomplis en la matière, la couleur de peau d'un(e) brésilien(ne) reste encore aujourd'hui fortement corrélée à son statut socio-économique (1). Ces différences dans les capabilités (voir les travaux d'Sen [1983] par exemple) de chacun implique des divergences de niveaux de vie considérables. Par exemple, malgré une forte diminution depuis le début des années 2000, l'indice de GINI du Brésil atteignait 0.55 en 2014, contre 0.50 en moyenne en Amérique latine, continent le plus inégalitaire (2). Par conséquent, un développement inclusif ne pourra être atteint tant que les défauts de structure et leurs origines ne seront pas pris en compte. La grandeur tant louée et recherchée par les élites brésiliennes depuis au moins la période coloniale dépend donc principalement de cette prise de conscience collective. Le nouveau président Michel Temer est-il le mieux placer pour cela? Mon entendement, bien que limité par l'étendue de mes connaissances, me pousse à adopter un certain scepticisme...



Cet ouvrage se structure autour de trois grandes parties marquant les diverses évolutions de l'histoire politique du Brésil. Les facteurs économiques et socio-démographiques, les portraits d'individualités marquantes et les cartes thématiques servent à agrémenter cette analyse afin d'en tirer un tableau général. Son intérêt réside principalement dans le format synthétique, parfait comme introduction au processus historique qui a mené le pays à ce qu'il est aujourd'hui. Par ailleurs, à plusieurs reprises l'auteur a le mérite de déconstruire certains mythes établis par le "récit national". Enfin, la fluidité de l'écriture et la clarté de sa structure contribuent également à l'intérêt de ce livre.

  1. Voir par exemple, "Brazil's colour blind", Stephanie Nolen, The Globe and Mail (31 juillet 2015) : http://www.theglobeandmail.com/news/world/brazils-colour-bind/article25779474/ (consulté le 25/01/2017).

  2. "What is Behind Latin America’s Declining Income Inequality?", Evridiki Tsounta et Anayochukwu I. OsuekeNotons, IMF Working Paper (2014) : https://www.imf.org/external/pubs/ft/wp/2014/wp14124.pdf (consulté le 25/01/2017). Notons également que le coefficient de GINI ne prend en compte que les révenus du travail, alors que les inégalités de revenus du capital, et de patrimoine, sont généralement plus importantes (avec de plus en Amérique latine la question de la répartition des terres).


Références


SEN Armatya (1983) Development: Which Way Now?, The Economic Journal, Vol. 93, No. 372, pp. 745-762.


CHIRIO Maud (2008) "Armelle Enders, Nouvelle Histoire du Brésil, Paris, Chandeigne, 2008, « Série Lusitane », 288 p.", Nuevo Mundo Mundos Nuevos [En ligne], Comptes rendus et essais historiographiques, mis en ligne le 13 septembre 2008, consulté le 24 janvier 2017. URL : http://nuevomundo.revues.org/41383

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