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Révolution à Washington? / Nouveau rapport 2017 de la Banque Mondiale sur le développement


Aakash Nihalani + Know Hope, Uncornered, Brooklyn (via www.unurth.com

 

La Gouvernance et la Loi. Le titre ne vend pas du rêve, on est d'accord. Pourtant, ce nouveau rapport annuel sur le développement de la Banque Mondiale se montre, par certains aspects, assez novateur. Réformateur plutôt que révolutionnaire, l’apport de ce travail repose sur son ambition de combiner le cadre analytique de la théorie des jeux avec différents travaux empiriques afin de rénover la notion de gouvernance, dont la Banque a été l’une des promotrices ces 30 dernières années.


Il est souvent rappelé qu'au sein des grandes organisations internationales, comme la Banque Mondiale (BM) ou le Fond Monétaire International (FMI), il existe une divergence de points de vue entre les différents départements qui les composent. On l'a par exemple vu avec la démission en 2000 de Joseph Stiglitz de son poste d'économiste en chef à la BM. Puis en 2013, lorsque les travaux d'Olivier Blanchard, alors économiste en chef du FMI, et Daniel Leigh montraient que les multiplicateurs budgétaires avaient été jusque là sous-estimés, ce qui remettait en cause les mesures exigées à la Grèce par le Fond pour l'octroie de nouveaux prêts. Par ailleurs, les institutions internationales issues des accords de Bretton Woods sont régulièrement critiquées pour la forme de leurs interventions et les "réformes structurelles" exigées en échange de leur intervention (voir par exemple les nombreuses critiques sur ce qu'on a appelé le consensus de Washington). Ainsi, ces organisations sont régulièrement accusées d'être les tenantes de la théorie économique "standard", "mainstream", "orthodoxe", "néoclassiques" ou encore "néolibérales", vous choisissez l'adjectif.


Pourtant, il semble s’être amorcé ces dernières années une amorce de changement, et cela suite au constat d'échec du consensus de Washington, mais aussi plus récemment de la Grande Récession. L'importance jouée par les départements de recherche et leur chef économiste respectifs (Olivier Blanchard au FMI ou encore Kaushik Basu dont le mandat à la BM vient de se terminer) semble notable. Le rapport 2017 sur le développement de la BM s'inscrit d'après nous dans cette lignée. L'un des points essentiels nous semble-t-il, tient au fait que la nouveauté ne vient pas du cadre conceptuel utilisé, mais davantage des questions abordées et de l'approche choisie. Autrement dit, contrairement aux années 30, et ce qu'on a appelé la "Révolution keynésienne", il n'y a pour l'instant pas de remise en cause profonde du cadre conceptuel standard (par manque d'un meilleur terme). Attention, nous ne nions cependant pas ici le fait que des évolutions importantes soient à l'oeuvre depuis plusieurs années au sein de la recherche académique. À cet égard nous pouvons évoquer l'utilisation de la théorie des graphes qui permet de réfléchir en termes de réseaux ou encore les divers rapprochements avec la biologie et l'étude des systèmes complexes adaptatifs. Mais ces apports n'ont encore, à notre connaissance, ni proposé de cadre réellement complet et cohérent susceptible de remplacer l'actuel, ni atteint et conquit les sphères du policymaking. Sur ce dernier point, notons par exemple que le dernier livre de Duncan Green contribue à la vulgarisation et diffusion de la théorie des systèmes complexes en montrant son intérêt pour les organisations de la société civile.


Néanmoins, si une nouvelle révolution d'ampleur similaire à celle de la Théorie Générale ne semble pas pour demain (malgré différentes tentatives), des changements importants ont eu lieu du côté des thématiques abordées. Ainsi, parallèlement au développement des recherches sur la distribution des revenus, les cycles financiers ou encore l'endettement privé, le renouveau d'une économie politique qui ose se mêler aux autre sciences sociales et l'assume, semble être une conséquence directe des incertitudes posées par le contexte socio-économique actuel.


On reproche souvent à la théorie économique de promulguer des recommandations de politiques économiques sans s'intéresser au cadre d'application, autrement dit aux difficultés potentielles de leur implantation. Le rapport de cette année semble au contraire vouloir répondre à ces critiques. Les concepts qui y sont utilisés sont ceux de la théorie des jeux (caractérisée par le principe d'optimisation et de rationalité substantive, voir les travaux d'Herbert Simon pour plus d'explications). Les auteurs rappellent par conséquent que les problèmes de coordination et de coopération restent fondamentaux dans toute action collective. De plus, leurs recommandations soulignent au final l'importance de la circulation d'une information de qualité, de l'établissement de relations de confiance entre les individus ou encore d'une convergence dans le choix des objectifs à atteindre. Par ailleurs, ils rappellent l'importance du principe de concurrence au sein de l'espace politique en le rendant plus contestable, c'est-à-dire en permettant à de "nouveaux acteurs d'accéder à la table des négociations". D'un point de vue conceptuel donc, rien de nouveau sous le soleil.


Cependant, les auteurs s'intéressent à des sujets longtemps ignorés, ou en tout cas sous-étudiés, qui leur permettent d'arriver à des conclusions importantes, d'autant plus lorsque l'on sait qu'elles émanent de la Banque Mondiale. En effet, il est rare de voir une organisation internationale comme celle-ci s'intéresser à la question du pouvoir (définit comme "l’aptitude de groupes et d’individus à faire agir autrui dans leur intérêt et à induire des résultats particuliers"). Les auteurs soulignent ainsi l'importance des rapports de force entre les différents groupes sociaux, et tout particulièrement le rôle des élites dans le processus de changement. Encore, ils rappellent que le succès d'une politique publique dépend aussi de notre capacité à modifier le cadre institutionnel dans lequel elle est appliquée. Autrement dit, il est nécessaire de prendre en compte, et chercher à modifier, les préférences, croyances, normes et lois propres à une société pour que le changement advienne.


Ce point se retrouve également dans l'adoption d'une définition de la gouvernance qui permet plus ouvertement la prise en compte du changement institutionnel. La gouvernance y est définie comme "le processus d’interaction par lequel les acteurs étatiques et non-étatiques conçoivent et appliquent les politiques publiques dans le cadre d’un ensemble donné de règles formelles et informelles qui façonnent le pouvoir, mais sont en même temps façonnées par celui-ci". C'est la dernière partie qui nous semble ici importante. En effet, la notion de gouvernance a souvent été critiquée pour son côté réducteur, qui tend à renvoyer le verbe "gouverner" vers celui de "gérer". Autrement dit, la politique ne serait plus une question de transformation, mais de gestion de la société. Néanmoins, grâce à la définition donnée au-dessus, une relation dynamique semble permise entre les relations de pouvoir et le cadre institutionnel dans lequel elles évoluent. Les règles formelles et informelles (1) influent sur les rapports de pouvoir, nécessairement asymétriques, dont les arrangements mènent en retour à une modification de celles-ci. Un mécanisme de rétroaction semble donc permettre un changement endogène du cadre institutionnel. Cela peut sembler trivial à première vue, mais il nous semble au contraire que ce choix résulte d'une réelle volonté de réforme de l'analyse économique utilisée non pas uniquement dans le monde académique, mais aussi celui plus large du politique et des policymakers. De plus, la prise en compte de la société civile dans le jeu politique permet parallèlement de réfléchir au poids des citoyens et leurs comportements dans le processus de décision.


Encore une fois, cela semble aller dans le sens d'un changement profond au sein de la recherche en économie, que l'économiste Gaël Giraud avait comparé à un "tsunami invisible" lors d'une conférence à Clermont-Ferrand lors des 40 ans du CERDI. Même si ces évolutions restent difficilement perceptibles à la surface, la secousse provoquée par la crise de 2008, et les ondes qui continuent à se faire ressentir aujourd'hui, semblent réellement avoir marqué le paysage du monde académique. Certains aimerait que ce changement soit plus radical ou se fasse plus rapidement, cette impatience se fait par exemple sentir chez certains étudiants qui appellent à davantage de pluralisme dans les enseignements afin de stimuler les innovations intellectuelles radicales. On ne peut que soutenir ces initiatives qui nous semblent essentielles. Néanmoins, le changement reste le plus souvent un processus lent et il nous semble important de saluer les différentes avancées permises ces dernières années, d'autant plus lorsqu'elles prennent naissance au sein d'organisations comme la Banque Mondiale, réputées conservatrices.

 

1. Définition des institutions issue de la nouvelle économie institutionnelle, que l'on pourrait bien sûr critiquer, mais adaptée à la théorie des jeux.



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